Depuis quelques temps, j'avais surpris cette jeune femme, Natasza, et son drôle de comportement. Elle fouinait un peu partout en ville, comme si elle faisait une enquête. Je m'étais un peu renseigné sur son compte : elle avait été adoptée, elle avait 22 ans, elle était policière et surtout, elle n'était pas du coin.
Un jour, je ne m'étais pas gêné pour lui parler. En fait, je devais dire qu'elle m'intriguait. Que cherchait-elle ici ? Je l'avais invitée -Ou plutôt obligée- à venir boire un verre avec moi en soirée.

Toujours aussi rabat-joie, je ne m'étais plus habillé que ça : j'avais juste mis un vieux jeans, un t-shirt sombre et une veste en cuir qui avait connu de meilleurs jours. Mes chaussures aussi étaient bien abîmées et râpées.

J'espérais qu'elle viendrai au rendez-vous, il faut dire que je me l'étais jouée fine cette fois-ci : j'avais bluffé et lui avait dit que j'avais des infos sur ses parents biologiques. N'était-ce pas l'unes des questions que tout enfant adopté se demandait ? Heureusement, j'avais visé dans le mille.

Je l'avais invitée dans un bar assez calme du centre-ville. Je m'installai au bar et commandai un soda en l'attendant. L'appât était-il bon ? J'eu la réponse quelques temps plus tard, quand la jeune femme brune fit son entrée. C'était une jeune femme charmante. Je lui fis signe de venir vers moi.

-Bonsoir, Natasza. Venez avec moi, on va s'installer dans un coin un peu plus à l'écart., lui expliquai-je en l'emmenant à une table dans un coin sombre du bar.

Je m'asseyais dos au mur, afin de surveiller au mieux le bar. Je fixai ma jeune collègue.

-Commandez ce que vous voulez, je le paie. Je voudrai savoir... Vous êtes policière alors... Pourquoi ne pas vous être faite embaucher au commissariat de Nassau ? Ce serait plus simple pour vous de mener votre petite enquête., commençais-je.

Je ne savais pas vraiment pourquoi mais quelque chose en elle me touchait : elle semblait fragile, adorable. Je ne me doutais absolument pas des sentiments qui naîtrait en moi à l'issue de cette conversation.

J'avais pris quelques instants pour détailler le look de la jeune femme. Elle était habillée comme une petite écolière de fantasme masculin -mais en moins vulgaire, bien entendu-. Je lui avais dit de commander ce qu'elle voulait mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle commande quelque chose pour moi et surtout pas un whisky. Je ne buvais pas hormis quand j'allais sur la plage pour penser à James et à ma vie passée et ces jours-là, je buvais de la bière. Je n'étais pas un grand amateur d'alcool fort et d'autant plus quand je devais mener des « négociations ». Sous le choc de ce qu'elle venait de faire, je fus incapable de parler. Quand le serveur revint, je le fis se pencher vers moi et lui glissa à l'oreille de renvoyer le whisky et de m'amener un soda à la place.
J'étais ensuite entré un plus dans le vif du sujet.

J'écoutais attentivement la réponse à sa question même lorsque le serveur revint à notre table pour m'apporter mon soda. Si j'avais été à sa place, j'aurais tellement voulu avoir des résultats que je n'aurai aucuns scrupules à mêler boulot et vie privée. J'aimai bien sa façon de voir les choses : elle était directe, franche... Un peu comme moi. C'était parfait.

-Bien... Je comprends mais je suis au regret de vous apprendre que je n'ai de réelles informations sur vos parents. En revanche, je peux vous être d'une aide précieuse : je vis à Nassau depuis cinq ans et j'ai peut-être croisé l'un de vos parents. Connaissez-vous leurs noms ? Je pourrais avoir eu affaire à eux, par le passé, sans le savoir. J'aimerais vraiment vous aider..., l'éclairai-je avant d'ajouter d'un ton beaucoup plus relâché, léger, en levant mon verre : Au fait, je ne bois pas et surtout pas d'alcools forts.

Je fixai à nouveau la jeune femme. Oui, je voulais l'aider. Elle poursuivait un but similaire au mien : savoir qui elle était. Moi aussi, je voulais savoir qui j'étais même si je connaissais mes parents... Dans mon cas, c'était un peu plus compliqué, moins une histoire d'origine géographique et sociologique qu'une histoire « spirituelle ». Je voulais me reconstruire sur des bases solides sauf que je ne savais pas qui je pouvais être.

Je bu une gorgée de mon soda tout en me laissant envahir par les images de ma famille, de tout ceux que j'avais considéré comme ma famille : ma mère, mon père, Lena, James, mes deux fils -Caleb et William-... Ca devait être dur de grandir sans famille de sang. J'esquissais un minuscule sourire en coin pour assurer ma bonne foi à la jeune femme orpheline. Peut-être qu'aider une jeune femme à retrouver sa famille m'aiderai dans mes propres problèmes familiaux ? Peut-être retrouverais-je ainsi l'amour et l'estime de mes fils ?

C'était loin d'être sûr mais c'était quelque chose que je devais tenter... Et puis, une bonne action restait une bonne action.

La jeune femme semblait désemparée par ma réponse. Oui, je l'avais dupée. J'en avais besoin, je devais la connaître, je devais savoir ce qu'elle cherchait. Je la vit enfouir son visage dans ses mains. Puis, je lui avais donné cette petite lueur d'espoir et sans relever la tête, elle me donna le nom de ses parents tout en me précisant qu'elle n'était intéressée que par la femme. Je tiquai à l'évocation du nom. Huntington... Ca ne m'était pas étranger. C'était un nom assez commun, c'était même le nom d'une maladie. Mais, curieusement, ce nom me semblait lié à un accident assez récent dans la ville. J'étais perdu dans mes pensées, j'essayais de me souvenir de ce nom. A qui ou à quoi était-ce vraiment relié ?

Comme une tentative de la faire rire un peu, je lui avais avoué que je ne buvais pas. Il me sembla qu'elle essayait de sourire et souligna l'incohérence de mes actes et de mes paroles. Je souriais, un sourire franc et chaleureux.

-Ouais, c'est bizarre ! Je suis bizarre... J'ai fait de drôle de chose dans ma vie. Je crois qu'on est abonné à ça dans ma famille. Prenons mon père : il a risqué sa vie dans l'armée américaine alors qu'il est danois ! C'est totalement stupide... Enfin, j'ai fait la même connerie militaire que mon père... Pour tout vous dire, j'essaie d'avoir une certaine hygiène de vie et pour cela j'évite de boire même s'il m'arrive de flancher et de boire.

Je me tus et bu une gorgée de soda avant de reprendre :

-Je vérifierai dans les dossiers de la police mais ce nom me dit quelque chose. Je crois qu'il est lié à un accident ou quelque chose comme ça. S'il vous plaît, n'oubliez pas que je vous dis ça de mémoire. Il est possible que je me trompe donc je regarderai pour que vous soyez fixée.

J'allongeais ma main jusqu'à la sienne et la pris tendrement dans la mienne. Ce geste avait quelque chose de paternel. J'aurai voulu pouvoir rassurer mes garçons comme je le faisais pour cette jeune femme mais ce n'était plus possible, je ne les avais plus.