19 janvier 1992
Varsovie, Pologne- Poussez, madame, poussez!Cette phrase, qui l'a tellement fait rire quand elle était plus jeune, lui donne l'envie de pleurer. Des larmes dévalent ses joues, creusant des sillons salés dans sa peau. Des larmes de rage, de douleur et de tristesse. Quelques minutes -qui lui paraissent une éternité- après, la femme délivre son enfant. Il se met immédiatement à hurler, et se calme peu de temps après.
- Félicitations, madame, c'est une petite fille!, lui dit le gynécologue en lui tendant le bébé.
- Non. Je ne veux pas de ce bébé, répond-elle froidement. La sage-femme insiste, et elle se met à hurler:
JE. N'EN. VEUX. PAS! C'est si dur à comprendre? Il est hors-mariage, ce bébé! Il ne sera jamais reconnu, jamais, vous comprenez? Ce ne sera jamais le mien! Je n'en veux pas!Le gynécologue dit quelque chose à la sage-femme en une langue que la mère ne comprend pas, malgré le temps passé en Pologne. La sage-femme n'insiste pas et part avec le bébé.
- Vous voulez me parler, madame? Ça vous fera du bien.- Arrêtez de m'appeler "madame", soupire-t-elle, fatiguée.
Très bien. Je vais vous raconter mon histoire, mais ce sera très court... Je suis Américaine, et c'est pour ça, d'ailleurs, que vous me parlez en anglais et que je fais de même. Dès que j'ai su que j'étais enceinte de... De la petite, je me suis dit qu'il ne fallait pas que mon mari le découvre. Je l'aime, c'était une erreur, je ne voulais pas tout gâcher! Et je suis jeune, j'ai 25 ans, bordel! Alors j'ai prétexté le besoin d'aller retrouver ma famille en Pologne, soit-disant parce que mon père se sentait mal, en disant à mon mari de rester à Nassau, aux Bahamas, où nous vivons, pour s'occuper de son entreprise. Il ne s'est jamais douté de rien. Elle marque une pause.
Je veux que vous la mettiez dans le meilleur orphelinat de Varsovie. J'enverrai de l'argent par la poste pour payer sa pension. Ne vous inquiétez pas, quelques milliers d'euros de plus ou de moins sur nos comptes bancaires, ça ne se verra pas... Elle a conscience de jouer à la bourge Américaine, mais, déboussolée comme elle l'est, elle s'en fiche.
Et... Assurez-vous qu'elle soit adoptée rapidement... Par une bonne famille.Au fond, l'instinct maternel prend le dessus. Elle ne peut pas garder le bébé, mais elle peut quand même faire en sorte qu'elle ait la meilleure vie possible. Elle attrape un stylo et un morceau de papier qui traînent sur sa table de chevet et elle y griffonne son adresse à Nassau.
- Envoyez-moi l'adresse de la famille. Par pitié.Elle a l'air tellement bouleversée que le gynéco ne peut qu'accepter. Une fois qu'elle est assurée que l'homme tiendra parole, elle sombre dans un profond sommeil. Le docteur quitte la chambre, plongé dans ses pensées et dans la singularité de cette situation. Il ne remarque même pas que la mère n'a pas donné de nom à sa fille.
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Mi-mars 1992
Varsovie, Pologne- Cet orphelinat est vraiment sublime! Ça te dirait qu'on aille voir les enfant, mon chéri?, demande une jeune femme d'une trentaine d'années à son fils de trois ans.
- Oh oui!Les deux se dirigent, accompagnés d'un homme un peu plus âgé, vers les enfants qui jouent. Le petit garçon tombe en admiration devant un bébé de quelques mois seulement, qui s'amuse avec son hochet. Les parents s'approchent pour voir ce qui fascine tant leur fils. Ils tombent eux aussi sous le charme de la petite.
- Tu voudrais une petite sœur, Jonathan? demande malicieusement le père.
- Elle? Il hoche la tête.
C'est vrai? Autre hochement de tête, de sa mère, cette fois-ci.
Oui!Les plans du couple Wilde n'étaient pas du tout d'adopter un enfant. Ils ont déjà leur tout jeune fils, et ils peuvent en avoir d'autres. Ils ont décidé de partir en vacances en Pologne pour le
Spring Break et de visiter cet orphelinat. Et le destin ou la Providence ou ce que vous voulez semble avoir mis la petite sur leur chemin. Emily et Michael remplissent donc les formulaires pour adopter la petite fille. La jeune femme veut absolument lui donner des prénoms polonais. Ils l'appellent donc Natasza Hanna, et lui donnent leur nom de famille, Wilde, comme si c'était leur vraie fille.
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Enfance
Chicago, Etats-Unis d'AmériqueLe couple Wilde rentre aux Etats-Unis dès que les procédures sont faites pour Natasza. Ils habitent à Chicago, et c'est là que leurs deux enfants grandissent. Ils s'aiment beaucoup et s'entendent relativement bien, comme des frère et sœur, quoi. Natasza sait depuis toujours qu'elle a été adoptée, elle n'en est pas moins heureuse et accomplie, considérant ses parents adoptifs comme étant ses parents biologiques.
Elle développe rapidement une passion pour la nature et surtout le sport. Elle aime courir partout, nager, surfer, faire de l'équitation, prendre des photos, lire. Une jeune fille normale, très intelligente, et qui réussit même à sauter une classe.
Seule "ombre" au tableau: des dons mensuels conséquents qui viennent toujours avec une note.
A mettre sur le compte bancaire de la jeune fille que vous avez adoptée. Natasza a donc rapidement une grosse somme d'argent sur son compte, que ses parents lui gardent bien de dire. Ils ne veulent pas lui faire peur, ni que la chose s'ébruite.
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Lycée
Chicago, Etats-Unis d'AmériqueSa première année de lycée voit naître une très grande amitié entre Nat et Elena, plus communément appelée El, Elechou ou doudou par la Polonaise. Elles ne sont pas de ces meilleures amies qui passent toutes leurs minutes de libres ensemble, qui s'habillent pareil, qui ont les mêmes centres d'intérêt et qui veulent vivre côte-à-côte, se marier avec des jumeaux ou au moins marier leurs enfants entre eux. Leur amitié est saine et complète, elles ne se confient qu'entre elles, elles sont complémentaires. Bien sûr, il leur arrive de se brouiller, mais jamais pour très longtemps.
Comme Natasza ramène souvent sa meilleure amie chez elle et qu'elle en parle beaucoup, Jonathan finit par être intrigué. Au bout de quelques mois de flirt, il demande à la blonde de sortir avec lui. C'est là que la jeune Nat de 17 ans réalise que les sentiments qu'elle a pour son frère adoptif ne sont justement pas fraternels. Elle a beau sortir avec deux ou trois garçons tout à fait biens, elle n'arrive pas à se sortir le jeune homme de la tête. Elena et Jonathan cassent pratiquement un an après, d'un accord mutuel, parce que leur amitié ne déborde pas vraiment dans l'amour.
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Je suis partie presque tout l'été par monts et par vaux dans tous les Etats-Unis, heureuse de pouvoir être libre avec ma carte de crédit, mes économies et mon vieux pick-up. J'adore voyager et découvrir de nouvelles choses. J'ai été encore plus heureuse quand Elena a accepté de m'accompagner. Ça l'enchantait de pouvoir vivre une vie de manouche, au jour le jour, avec l'argent qu'on avait économisé jusque-là. C'était... Magique. La guitare et les chants autour du feu, les sacs de couchage sous le ciel étoilé, la musique de ma vieille radio à fond dans le pick-up."
La jeune femme revient de son road-trip un soir tard après avoir déposé Elena chez elle. Elle est crevée, et elle sait que ses parents seront couchés. Natasza se rend compte à quel point un creux s'est formé dans sa poitrine, quand elle pense à Jonathan. Elle l'aime éperdument, profondément, et c'est grisant. Prise dans ces pensées à la fois tristes et délicieuses, elle sort ses clés, ouvre la porte, et tombe nez-à-nez avec Jonathan. Celui-ci, sans même attendre de lui faire un sourire ou de lui dire bonjour, l'embrasse passionnément sur les lèvres.
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Je sors avec Jonathan depuis presque un an. Ce sont enfin les examens de fin d'année, je vais pouvoir concrétiser mon rêve: devenir policière! J'ai toujours voulu plus ou moins faire ça, en fait. Comme le début de ma vie est mystérieuse, je me suis dit que je pouvais mettre à profit le reste pour élucider des cas et révéler la vérité.***
19 janvier 2010
Chicago, Etats-Unis d'AmériqueLe jour de mes 18 ans, mes parents m'ont révélé que je recevais des sommes d'argent astronomiques tous les mois, d'un bienfaiteur inconnu. Un instinct bizarre et irrépressible me dit que c'est sûrement ma mère, comme je suis née hors-mariage et qu'elle est riche. Seulement... Je ne sais rien d'elle. J'aimerais bien la retrouver, mais je n'en ai pas besoin pour être heureuse. J'ai tout ce qu'il me faut pour le moment.
J'ai réussi le concours du CPD, haut la main, première de ma promo! Mes parents était supers fiers de moi. Une année d'entraînement acharné, finalement, ça paye! Et, qui sait, ce métier pourra peut-être me permettre de retrouver ma mère...
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Novembre 2012
Nassau, BahamasUn fait divers banal. Une voiture en a percuté une autre. La conductrice est morte de suite de ses blessures, le passager d'un arrêt cardiaque. Un riche couple américain installé aux Bahamas depuis longtemps déjà.
Un mois plus tard
Chicago, Etats-UnisEmily regarde Michael, inquiète. Ce mois-ci, à la date habituelle, ils n'ont pas reçu le chèque. Le jour d'après non plus. Ni les suivants. Ni les autres mois.
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26 avril 2014
Chicago, Etats-Unis d'Amérique- Pieprzyć! Tu vas répondre aux questions qu'on te pose, oui?Je suis en train de perdre mon sang-froid en plein interrogatoire, c'est pas bon signe. Comment ça se fait que je parle aussi bien polonais, au point de savoir dire "putain"? Mes parents ont voulu que je connaisse ma langue maternelle. J'ai donc eu des cours de polonais depuis toute petite, et j'ai fait des voyages tous les étés ou presque en Pologne pour améliorer mon accent.
Enfin bref, je m'égare. Ça fait donc quatre ans que je suis dans le CPD. J'ai très vite gravit les échelons, on me dit que j'ai tout ce qu'il faut pour être une super policière. Et puis... Jonathan m'a demandé en mariage cette année! Je suis tellement heureuse! Mon boulot me prend du temps, mais je l'aime. Enfin, en ce moment, on peut pas dire que ça aille vraiment fort. Depuis l'arrêt des dons en novembre 2012, j'ai commencé à mener mon enquête sur ma mère biologique. J'y passe tout mon temps libre, toutes mes nuits blanches. Ça rend Jonathan dingue. Il ne comprend pas que je puisse vouloir retrouver la femme qui m'a abandonnée. Il dit que ça ne m'apportera rien. Mais si, ça m'apportera ce que je travaille à découvrir toute la journée: la vérité. J'en ai besoin pour vivre, mais il ne comprend pas. Pourtant, je l'aime. Je veux que ça marche entre nous.
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4 juin 2014
Chicago, Etats-Unis d'AmériqueJonathan vient de m'appeler. Il m'a dit que c'était fini entre nous. Il m'aime, mais j'ai changé. Je suis devenue froide, agressive, distante. Névrosée, plongée dans mon travail. Dans mon enquête. Il n'en peut plus, alors il a dit qu'on devait faire une pause. Il a besoin de savoir où il en est.
Je suis dévastée. Mon enquête a mené à une seule adresse, la dernière connue de la femme qui m'a mise au monde. Elle est à Nassau, aux Bahamas. J'ai assez d'argent sur mon compte pour m'acheter des billets et subvenir à mes besoins. J'ai un diplôme et la capacité de trouver un nouveau travail. Je prends mon téléphone pour appeler ma meilleure amie, celle que j'ai un peu perdu de vue mais qui a toujours été là pour moi. J'ai trop repoussé ce départ. J'avais Jon, et j'attendais que ma best finisse ses études d'architecte. Plus rien ne me retient ici.
- Elena? Prépare ta valise, on part aux Bahamas dans dix jours.