Such a lonely place

Eileen & Maïke

Seule dans la salle de bains du vestiaire des employés, je soupirai, l’air triste sur le visage, tandis que je prenais le temps de me ressaisir quelque peu avant de retourner dans la salle principale et tenter d’affronter mes collègues qui étaient sur le point de prendre leur pause sans que ceux-ci me posent des questions. Quelques minutes plutôt, ayant prétexté une envie urgente, j’avais décidé de prendre ma pause un peu avant tout le monde, histoire d’être tranquille pour utiliser les toilettes. En effet, il y avait une urgence, le fait que cette fameuse semaine du mois que chaque femme connaissait était arrivée pour moi. C’était bien banal, j’en convenais, mais pour moi, cela signifiait autre chose, à savoir que ce n’était pas ce mois-ci que je serais enceinte. Je ne devrais plus être déçue maintenant, compte tenu que cela faisait de nombreuses fois que nos essais à James et moi étaient sans succès, mais au bout de presque six mois, j’en étais à me demander si cela arriverait un jour. Je gardais cette réflexion pour moi-même en ce moment, parce que je savais à quel point mon mari souhaitait avoir un autre enfant, et je ne voulais certainement pas le décevoir, bien que de mon côté, je commençais à me poser des questions, me demandant si je ne ferais pas mieux de laisser tomber l’idée, ou du moins, ne plus essayer aussi fort pour ne pas subir une déception chaque fois.

J’inspirai une dernière fois, profondément, puis une fois que je crus être prête à affronter le reste du monde, je sortis de la salle de bains, puis je me dirigeai vers mon casier pour prendre mon goûter. Compte tenu que les enfants et James étaient à la maison, je n’avais rien de spécial prévu pour manger, et habituellement, je restais dans les parages, mais cette fois-ci, je n’avais pas vraiment le cœur à papoter avec tout le monde. De ce fait, je choisis de marcher jusqu’à la plage, qui s’était quelque peu vidée pour que les touristes aillent manger à leur tour. Je trouvai alors une place, et ayant gardé ma serviette de bain avec moi, je la déposai par terre, m’installant dessus pour commencer à manger tranquillement, bien que l’appétit ne me venait pas vraiment pour le moment.

Such a lonely place

Eileen & Maïke

Fixant mon sandwich et le petit paquet de légumes que j’avais apporté pendant un bon moment, je me rendis compte que même si celui-ci me paraissait appétissant, l’envie de le manger ne me venait définitivement pas, et il faudrait que j’attende encore un peu, quitte à manger juste avant de retourner à la piscine et trouver une excuse pourrie pour ne pas aller dans l’eau, bien que même sans le fait que je venais tout juste d’avaler mon repas, j’avais une autre excuse qui me plaisait un peu moins. Je me contentai alors de regarder droit devant moi, plongeant mon regard sur le reste de la plage qui s’échouait dans la mer turquoise où quelques vagues agitaient la surface. Limite, j’en fus à me demander si je ne pourrais pas aller me baigner un peu, histoire de me changer les idées. Enfin, ce n’était pas l’idéal, mais je savais que cela ferait effet. Ce qui ferait effet également ce serait certainement de parler, parler à une personne en particulier, à avoir mon mari, le principal concerné de cette situation, mais celui-ci étant probablement encore en réunion, je ne me voyais pas le déranger, surtout pas alors qu’il n’y avait aucun espoir pour le moment. Je finis par soupirer, pile au moment où quelqu’un m’interpella, me demandant ce que je faisais seule. Surprise, je me retournai, et voyant de qui il s’agissait, je fis un sourire, et je dis : « Salut Eileen ! En fait… Je viens passer ma pause déjeuner ici, j’avais envie. » Mon sourire se fit un peu plus timide, mais je ne voulais certainement pas l’embêter avec mes histoires, pas maintenant, en tout cas. Je marquai une pause, puis je dis : « Tu es occupée ? Si tu veux, tu peux te joindre à moi, ça me ferait plaisir. »

Such a lonely place

Eileen & Maïke

Contente qu’Eileen choisisse visiblement de s’asseoir à mes côtés et me tenir compagnie pendant ma pause déjeuner, je fis un petit sourire qui devint plus visible lorsque mon amie me dit que la plage était belle et calme à cette heure-ci. Ne pouvant qu’acquiescer, je hochai doucement la tête, et je dis : « Oui, je n’ai pas vraiment l’occasion de venir ici en temps normal, je suis contente d’avoir choisi de m’installer ici, finalement. » En effet, profiter de la plage n’avait pas été ma première intention, mais maintenant, je devais admettre que j’avais fait un bon choix, bien que cela me reculait de toute civilisation et me faisait quelque peu ruminer ma tristesse, ce qui n’était pas nécessairement bon, surtout que cela pouvait paraître bien puéril aux yeux de plusieurs. D’ailleurs, c’est pour cela que je ne sus pas trop quoi dire quand Eileen me demanda si j’avais des soucis avec mes collègues. La réponse était claire, mais ce que je me demandais surtout, c’était si je devais élaborer sur ce qui me tracassait ainsi, sachant que ça ne pouvait pas être intéressant pour tout le monde. Finalement, je choisis de dire : « Oh non, t’en fais pas ! C’est juste que je préférais prendre l’air aujourd’hui, tout simplement. » J’accompagnai mon propos d’un sourire, espérant sincèrement que ce serait suffisant pour rassurer mon amie. Puis, comme si je voulais confirmer que tout allait bien, j’ajoutai, quelques instants après : « Et toi, comment tu vas ? »

Such a lonely place

Eileen & Maïke

Même si cela ne vint pas aussi naturellement que d’habitude, j’eus quand même un petit rire amusé lorsqu’Eileen me dit qu’elle était en pleine forme après avoir passé toute la matinée au lit à trainer dans les draps et ne rien faire. Bien que je ne savais plus depuis longtemps ce que c’était, trainasser au lit, compte tenu du fait que les enfants étaient naturellement des petits lève-tôt et qu’ils n’étaient pas assez grands pour s’occuper d’eux-mêmes le matin, je n’en étais pas jalouse, parce qu’après tout, Eileen était en vacances ici pour s’adonner à ce genre d’activité, et si elle en profitait pleinement, alors c’était tant mieux pour elle. Après tout, je ne pouvais pas vraiment comparer ; Eileen était ici pour prendre du bon temps, tandis que toute ma vie était ici, que vivre aux Bahamas était mon quotidien, quotidien que j’adorais et que je n’échangerais certainement pas. Toutefois, le désavantage de ces deux situations mises ensemble, c’est que souvent, la personne en vacances devait quitter, et ça, ce n’était jamais quelque chose de plaisant à envisager. C’est pour cette raison que j’eus un air un peu plus triste lorsqu’Eileen me parla de mettre fin à ses vacances. Je pouvais comprendre que parfois, un hôtel, ce n’était pas une demeure pour tout le monde. À ce propos, je pinçai les lèvres, et je demandai : « Du coup… Tu rentrerais chez toi ? » Je regardai alors mon amie, l’air légèrement grave. En fait, même si parfois, je sentais que certains sujets pouvaient laisser place à de potentiels malaises entre nous, j’avais appris à apprécier Eileen, à savoir passer du bon temps en sa compagnie. Du coup, je n’avais pas nécessairement envie de la voir partir, bien que je ne pouvais probablement pas changer quoi que ce soit à sa décision, parce que c’était ses affaires, sa vie après tout. Il est certain que je pourrais lui dire qu’il y avait moyen d’avoir un appartement, que ce soit à l’hôtel ou en ville, et d’autres trucs pour la convaincre de rester, mais avant tout, je voulais voir ce qu’elle me dirait, ne me voyant pas vraiment sortir de tels arguments alors qu’elle n’avait peut-être pas l’intention de rester, et ainsi éviter une confrontation complètement inutile.

Such a lonely place

Eileen & Maïke

Un sourire doté d’une pointe de soulagement éclaircit mes lèvres lorsque j’entendis Eileen me dire qu’elle ne repartirait pas, et que plutôt que de rester à l’hôtel, elle s’achèterait une demeure et redémarrerait à neuf aux Bahamas, tout comme moi je l’avais fait. Je savais parfaitement que ce n’était pas mes affaires, mais franchement, je ne vois pas pourquoi je la retiendrais d’aucune façon, moi-même ayant déjà pris un nouveau départ ici même il y a maintenant bientôt huit ans de cela. Tout ce que je dis suite à son propos, ce fut : « Oh, ce serait bien ! » Pendant un instant, l’envie me prit de lui proposer de l’aider à trouver une demeure, d’autres trucs du genre, mais je ne voulais pas m’imposer, tout simplement parce que le terme « je pensais » me faisait comprendre que rien n’était confirmé. Toutefois, ce que je me permis de lui dire, ce fut : « Si jamais tu as besoin d’un coup de main pour un truc, ne te gêne pas. » Ainsi, je lui montrais que j’étais là, mais en même temps, je ne prenais pas d’initiatives à sa place. Avec d’autres personnes, peut-être je l’aurais fait, mais avec Eileen, quelque chose me retenait, quelque chose que je ne pouvais pas toujours expliquer, mais qui jetait bien souvent un malaise, comme je le ressentis lorsque soudainement, la demoiselle me dit qu’elle aimerait avoir la chance que j’avais, une famille, des enfants. Dans ces moments, et entre autres parce que j’étais parfaitement consciente de la chance que j’avais d’être aussi heureuse, malgré les soubresauts que ma vie de famille connaissaient actuellement, je ne savais pas vraiment faire autre chose que de sourire timidement. Je n’avais pas nécessairement commandé le bonheur que je vivais, et je remerciais le ciel chaque jour de m’avoir offert un époux aussi exceptionnel et des enfants qui l’étaient tout autant. Humble, me montrer, me vanter ne me mettait pas nécessairement à l’aise, si bien que tout ce que je sus dire, un peu maladroitement, je devais l’avouer, ce fut : « Peut-être que ça arrivera ici ? On ne sait pas, la vie est toujours remplie de surprises… »

Such a lonely place

Eileen & Maïke

À court de mots pendant un instant, tout ce que je sus faire, ce fut de pincer les lèvres et regarder tristement Eileen tandis que son regard se perdait dans l’océan, regard similaire à celui que j’avais il y a quelques minutes avant que mon amie vienne s’installer à mes côtés, bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons, bien sûr. Après tout, il aurait été plutôt pathétique de ma part de lui dire qu’il ne faut pas laisser passer, le fameux prince charmant, mais limite, dans le cas présent, ça sonnait comme un reproche, d’où le fait que je m’abstins de dire quoi que ce soit. Au bout du compte, tout ce que cela fit, c’est qu’un silence s’installa, silence que je ne sus pas combler de quelconque façon, et je m’en sentais bien mal. Pour tout dire, j’espérais sincèrement qu’Eileen trouve l’homme de ses rêves, qu’elle soit heureuse, mais pour une raison que je ne savais pas expliquer, probablement vu les propos qu’elle avait tenu précédemment à mon sujet, je ne savais pas lui dire, pas pour le moment. Heureusement, au bout de quelques secondes, Eileen rompit le silence, disant d’un ton un peu plus léger qu’il y avait trop d’enfants, limite, aujourd’hui. Dans un premier temps, je ne sus pas vraiment comment le prendre, sachant pertinemment que je faisais partie de ces personnes avec une famille considérée comme nombreuse, et je ne voulais pas m’arrêter là, mon mari non plus. Maintenant, j’étais persuadée que je n’allais pas avouer la raison de ma tristesse momentanée à Eileen, ne me voyant pas vraiment le faire. Au bout du compte, je décidai d’esquisser un petit sourire, puis de dire : « En même temps, des enfants, ce sont de vraies boules d’amour… C’est dur de s’en passer… » Puis, réalisant qu’encore là, ce n’était pas super adroit de ma part, je regardai mon amie, et je dis, en haussant les épaules; « Enfin, ce n’est que mon avis, bien sûr… »

Such a lonely place

Eileen & Maïke

Pour tout avouer, le propos d’Eileen m’avait quelque peu perturbée, c’était vrai, mais ce n’était pas puisque je m’en montrais vexée ou autre. C’était simplement puisque je ne m’y en attendais pas, et malheureusement, le léger silence que j’avais eu, combiné avec le propos que j’avais tenu par la suite, propos plutôt maladroit, je devais l’avouer, Eileen ne le vit pas de la même façon que moi. Je m’en rendis compte alors qu’elle s’excusait de ce qu’elle avait dit, affirmant ne pas me viser dans son propos. Pendant un instant, je ne sus pas quoi dire, bien qu’il était clair dans ma tête que je me doutais qu’elle ne voulait pas me viser. Toutefois, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir quelque peu concernée, surtout ces temps-ci, alors que je songeais à agrandir ma petite famille alors que certaines personnes croyaient que les enfants étaient d’envahir le monde. C’était un peu ridicule de ma part, je le savais, mais pour le bien de la conversation, pour mon amie, je tentai de ne plus y penser. Heureusement, ce fut plus simple pour moi de passer à autre chose lorsqu’Eileen complimenta ma famille. Elle réussit au moins à m’arracher un sourire que je lui montrai sans aucune hésitation, même si je savais parfaitement que ça ne pouvait pas remplacer une véritable phrase qui lui ferait réellement savoir que je ne lui en voulais pas. Au final, je trouvai les mots pour la rassurer lorsqu’elle eut terminé ses propos, et histoire de ne pas laisser trainer la chose et mettre un plus gros malaise dans la discussion, je m’empressai alors de lui dire : « Tu n’as pas à t’excuser Eileen, je te jure, je ne l’ai pas pris pour moi. » Je marquai ensuite une petite pause, puis j’ajoutai, dans un haussement d’épaules : « J’ai grandi dans une famille nombreuse, j’ai toujours connu ça, et du coup, j’ai toujours voulu avoir des enfants. Par contre, je sais parfaitement que ça ne plait pas à tout le monde, mais c’est ce que je suis, et je l’assume. Ne t’en fais pas, je ne suis pas vexée, je te jure ! » Je souris de nouveau, espérant sincèrement que mon amie allait me croire et que ce moment un peu gênant allait se dissiper.