Depuis que j'étais tout gamin, j'avais la phobie de l'eau et cela m'avait empêché d'apprendre à nager. Je m'étais dit que finalement je pouvais très bien vivre sans savoir nager sauf qu'entre temps, j'avais eu une fille. Maintenant que ma fille allait sur ses six ans, je voulais apprendre à nager pour pouvoir aider ma fille.

J'avais déjà pris un petit cours de natation avec Maïke mais entre l'ouragan, Shay et ma vie bien remplie de père, je n'avais pas vraiment eu le temps de retourner voir mon amie maître-nageur. Cependant, j'avais trouvé le temps de la contacter pour lui demander de me donner un nouveau cours et si possible donner aussi un cours à ma fille. Kiara était aux anges quand elle a su qu'elle allait avoir un cours de natation.

C'était ainsi que je me trouvais à la porte de la villa de mon amie. Je toquais à la porte et attendis patiemment que Maïke vienne m'ouvrir. A côté de moi, Kiara trépignait d'impatience. Je ne l'avais jamais vu ainsi même à la veille de ses anniversaires ou de Noël. C'était fou et ça me faisait rire. Malheureusement, quelque chose me cloua à nouveau au sol : je mourrais d'envie de fumer. Je n'avais pas grillé de cigarette depuis la veille. Et bien sûr, Kiara ignorait totalement que je fumais et je ne souhaitais pas qu'elle le sache. C'était sans compter l'arrivée inattendue de l'une de ses tantes qui allait perturber la relation avec ma fille et qui allait surtout faire sortir des choses que je ne désirai pas vraiment voir rejaillir à la surface.

Puis la porte s'ouvrit sur une Maïke toujours égale à elle-même : souriante et dynamique. Je lui souris et la salua.

-Salut, Maïke. Je te présente ma fille, Kiara.

Malgré son impatience, ma fille fut sous l'emprise de la timidité et alla se cacher derrière moi lorsque Maïke avait ouvert la porte. J'attendis que Maïke nous laisse entrer.

Je souris quand Maïke ris de la timidité de ma fille. C'est vrai que c'était plutôt drôle mais surtout très mignon. Ma fille était toujours mignonne et j'étais un vrai papa-poule. Finalement, le côté très maternel de Maïke eu raison de ma fille.

-Enchantée moi aussi. OUI !!! Papa m'emmène jamais à la piscine., s'écria-t-elle avant de se faufiler entre les jambes de la jeune femme pour entrer.
-Désolé... Elle peut être une vraie boule d'énergie pas très élevée quand elle s'y met. Mais ça fait son charme. Encore merci d'avoir accepter de nous donner ce cours de natation.

Dès que Maïke s'écarta, je pénétrai dans sa maison. Je rattrapais ma fille dans l'entrée et la portais sous mon bras, ce qui la fit éclater de rire. Puis mon amie, nous emmena jusqu'à sa piscine. Là, je posais le sac contenant quelques affaires et deux serviettes de bain par terre. Puis je dis à ma petite puce adorée de se déshabiller pour être en maillot de bain. Etant plutôt prévoyant de nature, j'avais déjà attaché les cheveux de ma fille en chignon, comme ça elle serait moins gênée pendant la leçon. Je ne tardais pas à me déshabiller pour me retrouver en short de bain.

Je n'avais pas mis les pieds dans l'eau que, déjà, je me sentais pas en sécurité. J'avais toujours cette phobie qui me prenait aux tripes tant mon angoisse était forte. Ma fille, elle, était déjà entrée prudemment dans l'eau mais elle attendait la jeune femme blonde avant d'aller plus loin. Décidément, pour une enfant de cinq ans, ma fille avait déjà une idée de ce qui pouvait être dangereux. J'étais fier d'elle. Pendant quelques instants, je me perdais dans la contemplation de ma fille adorée. Puis, je me dis qu'il fallait que je me bouge un peu, je me rapprochais du bord de la piscine, toujours pas très rassuré. En fait, j'y allais presque à reculons. Presque parce que je voulais vaincre ma peur même si cette peur ne cessait de me rappeler « à l'ordre », je n'oubliais jamais à quel point j'étais terrorisé par l'eau. Malgré ma bonne volonté, je fus incapable de faire un pas de plus et d'entrer dans la piscine.

La façon dont Maïke s'occupait de Kiara, la douceur dans sa voix et le fait qu'elle ne se vexe pas du comportement de ma fille me faisait dire que Maïke était une mère exceptionnelle. Ses enfants avaient beaucoup de chance de l'avoir pour mère. Connaissant ma fille, je savais aussi qu'elle appréciait beaucoup la présence féminine, chaleureuse et douce de Maïke. Je souris au compliment que Maïke fit à propos de ma fille. Comme tous les parents j'aimais quand on complimentait mon enfant.

Arrivés près de la piscine, Kiara se jeta presque à l'eau... Presque parce qu'elle faisait attention mais elle était entrée dans la piscine avec tant d'assurance qu'elle m'impressionnait. J'étais fier qu'elle ne soit pas une trouillarde comme son père. Maïke était déjà dans la piscine et invitait ma fille à s'approcher d'elle. Je regardais ma fille descendre un peu plus dans l'eau. Maïke me taquina un peu mais ce n'était pas ça qui me motivais à bouger. Non, c'était plutôt parce que je me devais d'être fort face à ma fille et ne pas montrer à quel point j'étais une poule mouillée quand ma phobie me submergeait.

J'entrai très lentement dans l'eau, pas rassuré pour deux sous. Bientôt, je fus en bas des escaliers. Le pire était passé : maintenant je ne pouvais plus vraiment faire marche arrière. Je regardais mon amie puis ma fille et une nouvelle fois mon amie.

-Ouf ! Le plus dur est passé ! Alors, quelle est la suite du « programme » ?, dis-je d'une voix à peu près apaisée.

Aujourd'hui, j'arrivais à voir une piscine ou la mer sans revoir ma sœur se noyer. Avant, j'en étais incapable... Mais heureusement, c'était avant la naissance de Kiara... Je n'aurais pas voulu lui montrer ça. Plus j'y pensais et plus je me rendais compte d'une chose : je voulais être fort pour ma fille mais j'étais faible, j'étais beaucoup faible que ce que je ne pensais. J'étais profondément traumatisé et j'avais vécu plusieurs chocs dans ma vie. Ca me surprenait encore que quelqu'un puisse se relever encore et encore alors qu'on ne cessait de se faire battre et qu'on ne cessait de nous faire mordre la poussière. L'esprit humain pouvait endurer tant de chose mais il était aussi extrêmement simple à détruire.

Une fois ma première appréhension vaincue, je ne pu m'empêcher de jeter fréquemment des regards à ma fille. Elle se débrouillait tellement mieux que moi. Ca semblait naturel pour elle. Malgré ses capacités naturelles pour la natation, je m'inquiétais pour ma fille et je continuais à contrôler si tout allait bien de son côté. Pendant un bref instant, je revis en Kiara ma défunte femme, Sophie.

Mes inquiétudes vis-à-vis d'un potentiel accident du côté de Kiara n'étaient rien comparées à mes inquiétudes concernant ce que Maïke allait me faire faire. J'étais un cas presque désespéré en natation. Ma phobie était ancrée en moi depuis près de vingt ans. Sa « proposition » fini par m'achever. J'étais médusé et je ne le cachais pas. La stupéfaction passée, seule la peur resta marquée sur mon visage. Un regard à ma fille suffit à me donner le courage de ne pas protester et de faire ce que Maïke me demandait.

Je m'enfonçais lentement jusqu'à avoir de l'eau jusqu'aux épaules. Subitement une vision, un souvenir me revint.

J'étais repartis vingt ans en arrière. J'avais dix ans. Ma famille et moi étions sur la côte pour notre sortie familiale dominicale. C'était au mois de Juillet. J'étais avec Fiona et Eileen, Caitlin lisait près de nos parents. Eileen, aventureuse, téméraire et curieuse, était partie à l'eau. Sa jupe bordeaux flottait au-dessus de l'eau, tout autour d'elle. Puis elle avait sombré.  Ses cheveux châtains étaient comme des algues à la surface de l'eau. Le dernier souvenir que j'avais d'elle était quand mon père était allé repêcher son petit corps dans l'eau. Elle était livide, comme un mort... Sa peau avait pris une horrible teinte bleuâtre... C'était horrible. Tout simplement horrible.

Cette vision m'avait fait blêmir. Je surpris le coup d'oeil inquiet de Kiara. Je souris. C'était une bien piètre tentative de rassurer ma fille. Son regard attentif et observateur continuait à peser sur moi. Elle avait peur pour moi. Elle ne comprenait pas pourquoi j'avais aussi peur de l'eau. La petite ignorait que j'avais eu une quatrième sœur qu'elle n'avait pas connu. En fait, ma fille ignorait beaucoup de choses me concernant. Après de longues secondes de mutisme, je me concentrais sur mon amie et lui demandais :

-Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait?

Je priais pour qu'elle ne me fasse pas mettre la tête sous l'eau... Malheureusement, c'était certainement ce qu'elle voulait me faire faire.

J'étais mal. Je me sentais oppressé. Ma phobie prenait le dessus malgré toute ma bonne volonté et l'idée que ma fille puisse me voir dans tel état me paralysait. C'était un cercle vicieux. Si j'avais été seul avec Maïke, je me serais laissé aller, j'aurais peut-être pleuré un bon coup, je lui aurais probablement raconté la mort de ma sœur et puis je serais allé de l'avant mais il y avait Kiara avec nous et c'était bien ça mon problème.

J'avais du mal à respirer et je luttais pour ne pas tomber. Quelle idée stupide avais-je eu de lui demander ce que je devais faire par la suite ! Mon cerveau peina à faire le lien entre ce que mon amie me montrait et ce qu'elle disait. Finalement, je me relevais, vacilla quelques instants et m'accrocha au bord de la piscine. Je devais faire peur à avoir tant j'étais pâle... En fait, ça ne devait plus être de pâleur mais de la lividité. Je me tournais vers la blonde et murmurais afin qu'elle seule puisse entendre :

-Je n'y arriverai pas. Je doute d'y arriver un jour...

On pouvait entendre une certaine détresse dans ma voix. J'étais désespéré de ne pas réussir à vaincre ma phobie. J'étais aussi plein de rage. Puis une toute petite voix qui m'était si familière résonna à côté de moi.

-Papa... Est-ce qu'i' se passe ? Tu vas bien ?

J'attrapai ma fille adorée, soulevai et l'embrassai sur la joue. Elle rit de ce rire si particulier aux enfants, ce rire gazouillant. Ca me faisait du mal de l'admettre mais regarder Kiara me déchirait le cœur : elle ressemblait tellement à sa mère.

-Ne t'inquiète pas, ma puce. Tout va bien. Allez, montre-moi comme tu nages bien !, lui dis-je en tentant de la reposer dans l'eau mais elle s'accrochait à moi. Elle voulait rester dans mes bras. Elle accepta, à contre cœur, de me lâcher après que je l'eut embrassée une nouvelle fois sur la joue. Je la regardai nager dans l'eau. Elle se débrouillait bien. Elle était presque comme un poisson dans l'eau.

Je tournai une nouvelle fois mon regard vers Maïke et m'excusai :

-Je suis désolé. Désolé d'être un mauvais élève, désolé de t'offrir pareil spectacle, désolé...

Malgré la peur qui m'assaillait, je voyais bien que Maïke était peinée de m'avoir mis dans une situation aussi inconfortable. Je tentais de rassurer ma fille qui avait compris que quelque chose n'était pas normal. Quand elle s'en fut aller nager un peu plus loin, la blonde se rapprocha de moi. Je la regardais, extrêmement mal-à-l'aise, triste car la baignade me ramenait irrévocablement des souvenirs de ma soeur et surtout tentant de garder au mieux mon sang-froid. Je m'excusais puis mon amie me répondit que je n'avais pas m'excuser... Elle m'avait raison sur une chose : ce n'était pas elle qui devrait entendre mes excuses mais Kiara, elle était la seule victime de mes mensonges par omission.

-Tu sais, avant mes 10 ans, je savais à peu près nager... Je n'étais pas un grand nageur mais j'arrivai à plus ou moins me débrouiller. Quand j'avais 10 ans, l'une de mes sœurs s'est noyé sous mes yeux... J'adorais Eileen, c'était d'elle dont j'étais le proche... Depuis je suis incapable de me baigner ou de nager : je la revois toujours s'enfoncer dans la mer... Maïke, Kiara ne sait pas qu'elle avait une quatrième tante alors, s'il-te-plaît, soit discrète et ne lui en parle pas., dis-je d'une voix extrêmement basse. Kiara ne devait pas entendre ce que je disais à la jeune femme.

Je mettais tourné pour que Kiara ne me voit pas réprimer mes larmes. J'avais perdu tant de gens auxquels je tenais : Eileen, mon père, Sophie... Malgré toute la douleur que ces disparitions m'occasionnaient, j'étais incapable de refuser d'avoir des relations humaines. J'avais encore de l'amour, de l'amitié, de la compassion, du réconfort, etc. à procurer à mon entourage. Je m'appuyais sur le bord de la piscine alors que mes jambes flageolaient sous mon poids. Je ne savais même qu'on pouvait avoir les jambes qui flageolaient alors qu'on était dans l'eau ! Je n'en pouvais plus. J'avais envie d'une cigarette. Je voulais en fumer une, rien qu'une seule. J'en avais tellement envie que je pourrais le faire, là, devant Kiara. En fait, je n'en avais pas envie : j'en avais besoin ! Depuis hier, je n'avais pas fumé, la présence de ma fille m'en empêchait. Non. Ma fille ne devait pas savoir. Je devais être fort et serrer les dents jusqu'à ce que je puisse fumer tranquillement.

Je sentais le poids de l'attention que Maïke me portait peser sur mes épaules. Néanmoins, j'étais content que quelqu'un accorde un peu d'importance à ce que je pensais et à ce que je ressentais : je ne laissais jamais les gens le faire et pour une fois, j'avais lever le pied sur cette règle de « conduite ». Une nouvelle fois, j'avais demandé à quelqu'un, en l'occurance Maïke, de ne pas parler de mes petites cachotteries à ma fille. Je la remerciais de sa « promesse ». Je crois bien que Maïke avait suffisamment vu de gens manquer se noyer pour comprendre mon point de vue, les raisons de mon silence et celle de ma phobie.

Je vis le regard que lança Maïke à ma fille. Mon amie faisait bien son travail. Après une petit moment d'hésitation, la blonde me proposa de sortir de la piscine et de prendre l'air. Je fis un sourire un peu gêné. Je n'allais certainement pas refuser sa proposition mais ce dont j'avais le plus besoin était de fumer. Toujours à voix basse, je confiai à mon amie :

-Merci... Euh... Comment te dire ça ?... Il faudrait surtout que j'aille f-u-m-e-r. Je n'ai pas pu le faire depuis hier et je suis en manque...

Je n'arrivais pas à lui demander : « où puis-je fumer ? Je n'ai pas envie de mettre des cendres partout et que tes enfants se posent des questions... Et il n'y aurais pas un coin un peu en retrait où je pourrais fumer parce que Kiara ne sait pas que son père est complètement accro à la nicotine. ». En fait, ça ne le faisait pas mais j'étais certain que Maïke aurait saisi mes questions sous-entendues. Je tournais la tête pour voir ma fille. Subitement, mon cœur se serra dans ma poitrine : je lui mentais tellement, je lui cachais trop de choses... Comment pourrait-elle m'aimer quand elle apprendra que je ne suis qu'un menteur? C'était si dur d'élever convenablement son enfant alors qu'on avait des vices qu'on ne voulait pas le voir avoir.
Je ne sortais pas de la piscine, attendant d'avoir une réponse de la part de la jeune femme avant d'esquisser le moindre mouvement pour sortir de la piscine. Pendant ce temps d'attente, je me dis que j'avais besoin d'aide avec l'éducation de Kiara, j'avais besoin d'une présence féminine pour me rassurer et assurer une partie de l'éducation de ma fille. Je me sentais démuni et j'étais prêt à demander l'avis de Maïke sur ce point. Je me retins pendant quelques instants mais bientôt, j' « explosai ».

-Maïke, dis-moi, est-ce que... Est-ce que tu mens à tes enfants pour leur bien ? Je... Il y a beaucoup de choses que je n'ai pas dit à Kiara parce que je pense qu'elle ne peut pas « comprendre »... J'ai peur... J'ai peur que Kiara ne fasse les mêmes erreurs que moi étant gamin..., murmurais-je pour éviter de me faire « surprendre » par ma fille.

Sur le coup, je ne réalisais pas ce que je venais de sous-entendre avec mon « étant gamin » mais j'allais certainement m'en mordre les doigts.

Je vis dans les yeux de Maïke qu'elle avait bien compris ce que je lui demandais mais elle ne me répondit pas tout de suite. Et, de toutes façons, je ne lui en laissai pas la possibilité. J'avais autre chose à lui demander. Une question d'éducation.
Quand j'évoquai mes erreurs d'adolescent -Qui était un peu plus graves que de simples erreurs ou bêtises de gamin, à mon sens-, mon amie tenta de me rassurer en me rappelant que l'on faisait tous des erreurs... Ca je le savais et j'en savais un rayon sur les erreurs que l'on pouvait faire mais je ne pense pas qu'elle avait idée de ce qu'était mes erreurs. Je me taisais, je ne savais encore si j'avais lui expliquer mon cas ou non. Elle continua de répondre à mes interrogations avec franchise et honnêteté. Finalement, j'allais devoir entrer un peu dans les détails. Oh et puis, merde ! On devait bien affronter ses démons et son passé un jour. Aujourd'hui, c'était mon tour. J'inspirai et expirai profondément avant de me lancer.

-Ce qui n'aide pas dans mon cas, c'est que Kiara est très intelligente et perspicace... Elle a comme un sixième sens... Ou je suis juste très nul pour cacher mes sentiments... Enfin, Maïke mets-toi à ma place, comment expliquer à ta fille que sa mère n'est plus là ? Ou que lui répondre quand elle te demande « Papa, c'est quoi ces marques sur tes bras ? »... Je ne vais honnêtement pas lui répondre « Oh, ce n'est rien ma chérie, ton père s'est juste drogué vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept entre ses onze ans et ses dix-sept ans... ». Je ne peux pas. Je ne peux clairement pas être honnête avec elle. Je ne peux ni être honnête ni lui cacher la vérité... L'autre jour, elle m'a fait remarquer que je sentais la fumée de cigarette et je lui ai mentis : je lui ai dit que c'était un de mes collègues qui avait fumé à côté de moi... Je te jure, être parent c'est dur mais être un parent « célibataire » c'est pire. Tu n'as personne pour te rassurer ou pour te soutenir au quotidien sur tes choix d'éducation... Et je ne te dis pas quand l'un de tes enfants te fait la tête ; pour lui faire entendre raison, ce n'est pas gagné., chuchotais-je, nerveusement.

J'avais noyé l'information « Je suis un ex-junkie » dans une masse d'autres informations comme si je m'attendais à ce que la maître-nageuse ne fasse pas plus attention à cette information-ci qu'aux autres.

-Mais le pire reste les jours où Kiara me demande : « Maman est où ? » ou « Quand est-ce qu'elle revient ? ». Je n'arrive pas à lui avouer que sa mère ne reviendra pas. Tout ce que j'ai pu lui c'est : « Elle est partie faire un long voyage. »... Je me déteste de ne pas avoir la force de lui dire ça alors que j'ai réussi à lui expliquer ce qu'était la mort pour qu'elle comprenne pourquoi ma mère était veuve...

Ca me faisait mal d'avouer ça mais, curieusement, ça me faisait aussi beaucoup de bien. Il fallait que ça sorte pour que j'arrête de ruminer toutes mes pensées nocives. J'avais baissé les yeux, incapable de croiser un hypothétique regard de jugement de la part de Maïke. Peu à peu, une idée faisait son chemin dans ma tête : j'étais un homme faible et je l'avais toujours été. Je fermais les yeux. Ca me plaisait pas de m'avouer ainsi « vaincu ».

J'appréciais que Maïke ne me coupe pas la parole. J'avais besoin de parler parce que je ne m'étais encore jamais autant confié à quelqu'un. En fait, je parlais si peu de mes problèmes que je ne savais pas vraiment ce que ça faisait de vivre sans un poids sur la conscience, les épaules ou le cœur. Après mon petit monologue, je me sentais mieux même si je n'avais pas de réponses. Pendant son silence, je regardais mon amie. On pouvait lire dans ses yeux qu'elle était en pleine réflexion et son temps de réflexion prouvait une chose : ma situation n'était pas facile et la jeune femme n'avait jamais été confronté à ce genre de problème. Finalement, j'eus une réponse qui n'aidait pas d'une très grande aide mais qui me montrait tout de même la situation sous un nouveau jour. Et puis, un avis est toujours utile sur certains points. J'écoutais avec attention ce qu'elle me dit et je pris quelques instants pour réfléchir à ce qu'elle venait de me dire. Parfois, je jetais même un regard vers ma fille en me demandant « Comment réagirait-elle? ».

-Ca mérite d'être essayé. Mais je vais quand même être obligé de lui dire ça directement et j'ai peur qu'elle ne prenne encore plus mal mon vice de la cigarette. Enfin... Avec les bons mots, ça devrait passer... Et puis, maintenant que j'ai Shay, Kiara devrait moins s'inquiéter pour moi et ma santé. Merci Maïke. Je vais faire ma pause clope et on continuera notre discussion, n'est-ce pas ?, avais-je dis plus fort si bien que Kiara m'avait entendu.

Elle avait tourné sa petite tête vers moi et me regardait avec de grands yeux. Je priais pour qu'elle ne sache pas ce que signifiait « clope ». Bientôt, Kiara retourna à ses activités. Enfin, c'était ce que je croyais et, bêtement, j'arrêtais de me soucier du monde qui m'entourait. Je sortais de la piscine, allais jusqu'au sac qui contenait mon pantalon. Je saisi mon paquet de cigarette et mon briquet, puis me dirigeais vers un endroit où je pourrais fumer tranquillement. Mais, comble de la bêtise, j'avais glissé une cigarette entre mes lèvres avant même d'avoir quitté le champ de vision de Kiara. Ma fille avait tout vu et j'avais été totalement aveugle. Quand je revins dans la piscine, après avoir fumé une cigarette, j'étais plus calme et Kiara était muette. Je pénétrais dans l'eau et dis à ma fille :

-C'est super, ma chérie. Tu te débrouilles comme une pro !

Sans quitter ma fille adorée des yeux, je glissais à Maïke :

-La petite pause m'a fait beaucoup de bien. Encore merci.

Spoiler:

Je remarquais le grand sourire de Maïke lorsque je lui parlais de Shay. Elle devait vraiment être heureuse pour nous deux. Puis je m'en étais allé très rapidement et sereinement fumer ma cigarette. Un peu moins de dix minutes plus tard, j'étais de retour. Je ne savais pas si ma fille et mon amie avaient discuté mais je ne doutais pas que ça c'était bien passé entre elles. La remarque de la blonde sur ma facilité à entrer dans l'eau après ma petite pause me fit rire.

-C'est pas faux. Je suis beaucoup plus calme., lui dis-je du tac-au-tac.

Je me tournais ensuite vers ma fille qui me fusillait du regard. Je ne lui avais jamais vu cette expression. Je m'approchais d'elle et lui demandais très doucement comme je le faisais d'habitude :

-Kiara, ma puce, ça ne va pas?
-Pourquoi tu fumes ? Tu sais pas que ça fait mourir de fumer ?, m'interrogea-t-elle furieuse avant de partir nager du côté de Maïke, histoire de mettre de la distance entre nous.

J'étais abasourdi. Je ne m'étais pas rendu compte qu'elle avait pu voir mon petit manège de fumeur. J'étais parti sur la pente que je voulais à tout prix éviter. A trop m'inquiéter, j'avais entraîné ce qui me faisait le plus peur. Je tentais de retourner vers ma fille mais dès que je m'approchais d'elle, elle se sauvait de l'autre côté. Elle ne voulait plus m'approcher. Je semblais la dégoûter. Quand je compris que je n'obtiendrais rien de plus de ma fille pour l'instant, je demeurais près de Maïke et murmurais d'une voix brisée :

-Je suis un père pitoyable... Je suis un incapable...

Je me mis tout bonnement à pleurer comme un gamin. Je n'avais pas pleuré comme ça depuis que Shay avait frappé à ma porte complètement ivre. Mais aujourd'hui plus que n'importe quel jour, je me sentais nul, vraiment nul.