« Notre père qui êtes aux cieux, que ton règne soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel… »
Debout entre les bancs en bois durs comme du chien qui te bousillent le dos pendant toute la durée de la messe, tu baisses la tête sur tes pieds, marmonnant comme tu peux mais pas trop fort afin d’éviter de sortir une grosse bourde et que tout le monde entende que tu ne sais pas tes prières. Ton ventre commence à faire des siennes, après tout il est 12h30, et à cette heure-ci tu veux manger, pas faire le clown à demander des tonnes de choses à un monsieur là-haut qui n’en a rien à foutre de toi. Tu n’as jamais été croyante, et ce n’est pas en te traînant là-bas que ça va changer, mais après tout, ça fait plaisir à tes parents donc une fois par semaine, le dimanche précisément, tu oublies que tu pourrais être en train de cuver tranquillement plutôt que de te faire remarquer parce que certains effluves de la veille se manifestent, et tes parents le sentent comme tu le comprends lorsque tu vois la tête qu’ils tirent en te regardant de travers. Ta mère fronçant le nez te donne envie de rigoler, mais tu ne veux pas t’enfoncer encore plus. Après tout, tu n’es pas du genre rebelle, et ce n’est pas vraiment ton genre à étaler toute ta vie en public, encore moins quand certaines personnes sont ici de pour de vraies raisons. C’est le choix de tes parents et tu ne peux que le respecter, même si l’envie ne te manque pas. Mais après tout, tu es une fille modèle, docile, pas de celles qui pètent des câbles et qui insultent ses parents comme dans mon incroyable anniversaire. Tu pries donc pour que la dernière prière ne dure pas trop longtemps et que le poulet qui rôtissait dans le four ne se soit pas échappé parce qu’il s’ennuyait trop à tourner en rond.

« le monde a été créé par des fous afin que des sages puissent y vivre. »
Tu gardes les yeux rivés sur les posters représentant des coupes de cerveaux et autres choses adorables tandis que la psy te parle. Tu ne l’écoutes pas vraiment, puisqu’à chaque fois que tu lui assures que tu n’es pas folle, elle te rembarre avec son air supérieur en disant « oh tu sais Marley, ils le disent tous… ». Blasée de l’entendre te dire ça, tu décides qu’elle ne t’atteindra pas avec ses phrases chocs. Lorsqu’elle te compare à des malades mentaux qui ont tué des gens, tu sens tes doigts s’enfoncer dans le cuir de la chaise. Elle s’en rend compte et que hausses les épaules comme pour te narguer et te faire comprendre « je te l’avais dit. ». A ce moment-là, tu n’as qu’une envie : lui sauter au cou et lui faire comprendre que non, tu n’as pas vraiment essayé de te suicider, que tu t’es coupée accidentellement, et si tu étais debout au milieu de ta cuisine à trois heures du matin, ce n’était pas pour quitter ce monde pendant que tout le monde dormait, mais simplement parce que tu es somnambule, et que ce problème du sommeil n’est pas dû au fait que tu sortes et que Satan n’est pas entré dans ton corps pour ne jamais le quitter. A la limite, le fait que tes parents pensent ça, c’est une chose, mais que les psys de l’hôpital psychiatrique le pense, c’est le pompon. Le fait que tu vives dans le trou du cul du Texas n’aide pas vraiment niveau ouverture d’esprit, mais tu t’y es fait. Cela dit, tu ne pensais pas que tu allais te retrouver dans un hôpital psychiatrique, stigmatisée comme « suicidaire dangereuse » alors que tu te faisais un sandwich pendant une de tes crises d’insomnie. Ce qui a poussé à te faire interner, c’est le fait que tu as agressé ton père parce qu’il t’a réveillée pendant une de tes crises en te sautant dessus, ce qui est fortement déconseillée pendant une crise. Tout ça pour dire que tu vas devoir vivre ici, au milieu de grands malades alors que dans ta tête tout va bien.

« préparez-vous à être prêts. »
Sur ce coup-là, ta tante t’a aidée. En effet, elle est un peu – beaucoup – plus ouverte d’esprit que tes parents, et a vite compris que non, tu n’étais pas l’antéchrist et que par conséquent tu ne risquais pas de tuer toute ta famille lorsqu’ils seraient tous en train de dormir. Elle a signé tes papiers de sortie après avoir négocié pendant des heures avec tes parents. Pour t’en éloigner le plus, elle t’a proposé de vivre dans sa villa dans une ville des Bahamas. Par politesse, malgré le fait que vous soyez extrêmement proches, tu n’as pas voulu abuser de sa gentillesse, déjà qu’elle t’avait sortie d’une situation digne de vol au-dessus d’un nid de coucou, par conséquent tu lui devais déjà une fière chandelle. Tu es donc rentrée chez toi, cependant, après avoir été enfermée « discrètement » dans ta chambre pendant la nuit de peur que tu t’enfuies encore, après avoir passé des jours et des jours avec des regards de travers et surtout apeurés parce que dans ton cul-de-sac, les infos circulent vites, tu décides de rappeler ta tante pour la supplier d’oublier ce que tu lui a dit, tu veux partir aux Bahamas, parce que t’en as ras-le-bol de tout ça. Au début, tu en rigolais, allant jusqu’à parfois lever les yeux aux ciels pour les faire blancs, histoire d’appuyer le truc, néanmoins, certaines personnes sont allées se plaindre auprès de ta mère qui t’as fortement sommé d’arrêter. De plus, depuis que tu es rentrée, tu as remarqué que tous les couteaux ont été placés en lieu sûr, après tout, « on est jamais trop prudent », comme ton père l’a dit avec son air le plus arrangeant possible. Pour voir jusqu’où ils seraient prêts à aller, tu retournes dans ta chambre, et fais semblant d’appeler une de tes amies et dire « de toute façon j’en ai de caché sous mon matelas. », il ne faudra attendre que quelques jours pour que ta mère débarques dans ta chambre et prétexte un retournement de matelas dû au printemps. Ta tante a rigolé en t’entendant raconter tes histoires, mais toi tu n’avais pas envie de rigoler tellement à la longue c’était lourd. Elle a accepté tout de suite, et le lendemain tu faisais tes valises, avouant à tes parents que tu sentais une rechute et qu’il fallait que tu ailles quelque part de sûr où tu n’as pas d’entourage et d’attache, et que tante Lucy avait gentiment proposé d’aider. Te voilà donc arrivée dans cette villa qui n’a rien à envier à ta maison du Texas, et compte bien refaire ta vie ici.