J'entends encore sa voix dans ma tête. Quand je suis face à un problème, à un léger souci ou quoi que ce soit. Je ne fais qu'une chose, repenser à ce que m'aurait dit ma mère. En y réfléchissant bien, elle m'aurait toujours dit "Agit comme tu le sens, et non en fonction des autres." J'ai toujours trouvé cette phrase bidon.
Comment ne peut-on pas agir en fonction des autres ? Depuis toujours, on m'a élevé en fonction des autres. "Crystal, va dans cette école-ci, comme ça, tu pourras devenir une femme intelligente, et reprendre le cabinet de ton père. "Crystal, marie-toi avec celui-ci, comme ça, tu resteras dans un bon milieu." C'est exactement ce qu'on m'a toujours dit de faire. Fait ce qu'on te dis, et ne riposte pas, parce que tu sais, Crystal, c'est comme ça la vie, on en a rien à faire de ton avis ! Alors je m'exécutais, sans rien dire, parce que je suis évidemment un fille modèle. Du moins, c'est ce que j'ai toujours prétendu être auprès de tout le monde, mis à part ma mère.
Elle, était la seule à me comprendre, et je pouvais me confier à elle sans avoir peur de quelconques répercussions. Hélas, ça ne dura pas, car elle ne fut bientôt plus là pour moi. "Mort subite" qu'ils ont dit, on n'a jamais vraiment su pourquoi. À mon avis ? Une histoire d'héritage. Ça tourne toujours autour de ça, de toute façon. Le fric, le fric, le fric ! Le problème dans cette histoire, c'est que l'héritage, c'est moi qui l'ai réceptionner, à la demande de la défunte. Ouais, "la défunte ", c'est comme ça qu'on doit l'appeler maintenant.
Peu à peu les années passaient, et je continuais à jouer la petite fille modèle auprès de mon père, ainsi que des professeurs. Je finis deuxième de ma promo, ce qui n'était pas mal du tout, mais pas suffisant pour mon paternel. Malgré ça, il m'engagea dans son superbe et réputé cabinet d'avocat. L'un des plus grands à Vancouver, au passage. Et voilà, après deux ans et demi, j'avais à présent la vie rêver ! Étant à la tête du cabinet, accompagné d'un héritage fructueux et d'un fiancé avocat, rien ne pouvait m'arriver.
Oui, c'était vraiment la vie rêver. Peut-être pour 99,9 % des femmes dans ce monde en tout cas. Je détestais cette vie. Je l'ai toujours détesté. En quoi peut-on aimer une vie où le seul plaisir que l'on peut avoir est de manger un bagel avec son petit café le matin ? Non, je ne comprendrais jamais les personnes qui rêvent d'une telle vie. Moi, ce que je désirais le plus au monde, c'était partir.
Partir loin, loin d'ici, loin de mon père, loin de cet homme qui me sert de mari, loin de cette vie. J'avais maintenant 24 ans, et j'atteignais bientôt mes 25. Allais-je vraiment continuer à vivre dans mes propres mensonges ? C'était hors de question. Il fallait que je quitte cette ville au plus vite. Une grande opportunité s'offrait à moi, un grand hôtel m'avait envoyé une invitation pour un séjour d'un mois sur une île paradisiaque.
Oui, c'est sûr, Mark -mon fiancé- est un homme bien, et ce serait difficile de le laisser là, tout seul, surtout que ce crétin serait surement complètement perdu sans moi. Je l'aime, enfin, disons plutôt que je l'ai aimé. Mais les gens changent, et les sentiments aussi. Je ne me sens plus capable de lui mentir à lui aussi. Alors c'est peut-être mieux ainsi. Dans une semaine, c'est décider, je quitterais Vancouver. Peut importe ma destination, je prendrais le premier avion à l'aube. Durant les sept jours qui suivirent, je continuais ma vie comme si de rien était, essayant de mémoriser les quelques visages des personnes à qui "je tiens".
Le jour était enfin arrivé. Demain, j'aurais enfin 25 ans. Un quart de vie, comme dirait mon père. Ce quart de vie, je leur laisse, je prends mes bagages et je m'en vais. Ils étaient fins prêts, sous mon lit, bien au chaud. Le lendemain, je me levais à l'aube comme prévu, tachant de ne pas réveiller Mark. Je pris mes affaires, et partis. À l'aéroport, j'avais encore un pas hésitant. Comment ne pas en avoir, quand vous plaquez tout pour une ville perdue où tu n'es jamais allé. Même si ce n'était que pour un petit mois, j'avais vraiment l'impression de quitter cette ville pour l'éternité.
En regardant l'avion qui était déjà sur la piste, à faire embarquer les voyageurs, j'avais un petit pincement au cœur. Et si ce n'était pas la bonne décision ? Je pris mon ticket, remballai mes sentiments et montai dans cet avion. Ce n'était que pour un mois après tout, qu'est-ce qu'il pouvait m'arriver ? Rien du tout, mis à part peut-être des piqures d'insecte, et un père furieux. À peine arrivé, je compris enfin. Je compris enfin ce que c'était, la liberté. Et j'aimais ça.