« Si dans dix ans, nous sommes toujours célibataires, tu crois qu’on pourra se marier ? » Au début, lorsque Melba m’avait posé cette question, il y a de cela maintenant une décennie, je lui avais répondu que ce serait sans problème, ne croyant certainement pas que cela finirait par arriver, pile dans le délai qu’elle avait soulevé. Pire encore, jamais je n’aurais cru que je ne le ferais pas parce que ma vie amoureuse était une épave, mais plutôt par amour, parce que je le voulais, pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec cette promesse datant d’un moment plus triste de la vie de ma fiancée, dans mon lit plus exactement. Je m’en souvenais comme si c’était hier, et pourtant, tant de choses avaient changé depuis. D’un homme qui ne croyait pas à l’amour, qui se cherchait constamment, j’étais devenu un homme qui avait envie d’avoir une vie stable, qui en avait assez de courir des jupons à gauche et à droit. À quarante ans, ce n’était plus le temps de faire cela, de toute façon. C’était cette idée de me poser qui m’avait conduit à demander Melba en mariage; elle avait toujours été mon pilier de stabilité pendant toute ma vie. Non seulement, c’était logique, mais de plus, je me disais que jamais je ne me lasserais d’elle, même si nous étions loin d’être un couple conventionnel. Je m’en moquais; elle m’avait toujours rendu heureux, et je me doutais bien que notre union ne changerait rien à ce que nous ressentions l’un pour l’autre, ou du moins, je l’espérais. C’était probablement pour cette raison qu’en fait, je n’étais pas nerveux par rapport à tout cela, et que lorsque Melba me demanda si j’étais nerveux, si j’appréhendais notre mariage qui aurait lieu sous peu, je serrai doucement ses doigts entre les miens, souriant de façon tout à fait candide, avant de dire : « Non, j’ai plutôt hâte que tu sois mienne. Officiellement. » Je me penchai alors pour l’embrasser, avant de dire, d’un air plus moqueur : « J’ai aussi hâte à la nuit de noces aussi, mais ça, c’est une autre histoire. » Après, on ne pouvait pas complètement me changer, après tout. Il fallait bien que je garde un peu de moi-même dans toute cette évolution, puisque sinon, ce n’était pas drôle, si ?

Je ne pus m’empêcher de prendre un faux air offusqué au moment où Melba me dit que je devrais prendre mon mal en patience concernant ma nuit de noces. Pourquoi faux ? Parce que je me soudais bien qu’elle plaisantait, considérant le fait que quelques minutes auparavant, elle ne semblait nullement fatiguée. Nerveuse, certes, mais pas fatiguée. Après, la nervosité pouvait se comprendre, puisque même si je ne le montrais pas, même si je le cachais par de belles paroles – qui étaient sincères, soit dit en passant – il n’en demeurait pas moins que je n’étais pas totalement tranquille à cette idée. Après, je n’appréhendais pas autant ce moment que Melba, mais quand même. Il fallait bien que je conserve mon orgueil, d’où le fait qu’il était hors de question que je tentais de paraître peu tendu, comme si j’attendais devant une boutique et non devant une petite chapelle typique de Las Vegas. Certains trouvaient que c’était totalement cliché, ridicule, mais moi, je trouvais que c’était tout simplement parfait pour nous deux. Je ne pensais pas que nous serions du genre à organiser un grand mariage, déjà qu’à la base, il était étonnant que je me marie à la base. De toute façon, Melba le savait parfaitement que ce n’était pas ça le plus essentiel pour moi; l’essentiel était que nous unissions nos vies, comme nous ne l’étions promis, mais que nous puissions continuer à passer du bon temps ensemble par la suite, jusqu’à nos vieux jours, enfin, plus vieux que ceux-ci, en tout cas. Après cela, je voulus rajouter une autre plaisanterie, peut-être une remarque supplémentaire sur le fait que j’avais envie d’elle, par exemple, mais je n’en eus pas le temps; ma douce me fit remarquer que c’était notre tour. J’accusai réception du renseignement par un petit sourire en coin, puis je lui tendis mon bras afin qu’elle le prenne, comme deux vrais mariés bien classiques, même si ce n’était pas ce que nous étions, mais pas du tout. Fier comme un paon à l’idée d’avoir cette sublime femme à mon bras pour descendre l’allée jusqu’à l’autel improvisé avec un Elvis en guise de prêtre, je lui dis : « Allons-y, alors. Tu es prête ? »