Voilà pratiquement cinq mois que tu es arrivé sur l’île et tu n’as toujours pas croisé ton frère, alors que tu sais pertinemment qu’il est là. Tu sais qu’il faudrait que vous mettiez les choses aux clairs et pourtant tu n’oses pas aller le voir. De peur qu’il t’en veuille ou au contraire, qu’il puisse encore se passer des choses entre vous. Ce que tu ne veux certainement pas. Toutefois, ta sœur n’y était pour rien dans l’histoire et tu avais appris récemment qu’elle avait aussi débarqué ici. Seulement elle vivait avec Cameron, ce qui t’empêchais d’aller la voir comme tu le voudrais. Cependant, tu avais vraiment envie de la voir, pour pouvoir lui parler et essayer de régler aussi des choses avec elle, puisque tu l’avais plus ou moins abandonner pour venir ici et que surtout, elle te manquait. Prenant ton courage à deux mains, tu décidas, qu’aujourd’hui serait le jour. Tu te rendis donc à son immeuble, du moins, là où tu croyais qu’ils habitaient. Heureusement, tu ne t’étais pas trompé, puisque quand tu demandas leur numéro d’appartement à l’accueil, ils t’en donnèrent un qui correspondait au nom de Prescott. Tout de même un peu nerveux à l’idée de la voir, comme chaque fois que tu voyais ou entendait parler de ta famille, pas mal compliqué, ces derniers temps. Tu allas à l’appartement qu’on t’avait désigné et frappa doucement. Tu attendis quelques instants, puis n’ayant pas de réponse, tu te permis d’ouvrir la porte non verrouillé. Tu fis un pas timide dans la pièce et chercha des yeux une quelconque personne, en demandant d’une voix hésitante. « Ellie ? Y’a quelqu’un ? »

C’était maintenant chose acquise dans l’appartement; lorsque je m’apprêtais à faire un vol de nuit, les heures précédentes, je devais dormir, et personne ne devait me déranger, sous peine de prendre la raclée de sa vie. Le seul prétexte pour entrer dans ma chambre dans ces moments était pour se glisser sous les draps pour profiter de ma sublime compagnie, autrement, c’était accès interdit. Aujourd’hui, puisque justement, je me retrouvais face à cette situation, j’étais allé me coucher tout de suite après le déjeuner, puisque je ne pouvais pas me permettre d’arriver au travail les yeux remplis de sommeil, jamais on ne me laisserait partir. Tout se passa plutôt bien, j’avais pu aller me coucher à temps, et je n’avais pas mis des heures à m’endormir, comme j’aimais bien le faire. Cependant, ma séquence de sommeil fut brusquement interrompue lorsque soudainement, j’entendis une voix dans l’appartement demander pour quelqu’un, demander en fait s’il y avait quelqu’un. Est-ce que tout le monde était parti ? Si oui, comment cela se faisait-il que quelqu’un était entré ? Croyant que c’était parce que la dernière personne sortie avait oublié de verrouiller la porte, je râlai dans mon lit, et je me levai, vêtu d’un simple caleçon, ouvrant la porte à la volée en disant, sans même regarder : « Oui il y a quelqu’un, et ce quelqu’un essaie de dormir ! » C’est suite à ces mots que je portai mon regard vers l’inconnu, qui n’était pas si inconnu que ça finalement, ayant un choc complet lorsque je me rendis compte de qui il s’agissait. Je restai alors stoïque dans l’embrasure de ma porte, n’arrivant pas à dire quoi que ce soit, déglutissant difficilement en attendant de voir la réaction de Camille, parce que moi, je ne savais pas du tout comment agir, et ça m’arrivait si rarement que ça me perturbait plus que jamais.

Comme tu le ferais chez toi, tu n’hésitas pas à entrer après avoir attendu quelques instants devant la porte, ne recevant aucune réponse. Après tout, c’était des membres de ta famille qui vivaient ici et ils n’allaient certainement pas t’en vouloir d’être rentré sans leur permission. Tu entras tout de même avec un peu de retenu, ne voulant pas te faire prendre pour un cambrioleur et surtout pour ne pas avoir l’air de faire intrusion dans leurs vies, dans laquelle tu ne te sentais d’ailleurs plus tellement à ta place. Hésitant, tu refermas la porte derrière toi en faisant le moins de bruits possibles, puis pénétra dans ce qui devait être le salon. Tu jetas alors des coups d’œil un peu partout en espérant apercevoir quelqu’un et si ce quelqu’un était ta sœur, ce serait encore mieux. Mais malheureusement, ce fut une voix bien peu féminine  et légèrement agressive qui répondit à ton appelle. Tu te crispas comme quelqu’un prit sur le fait, car tu dérangeais visiblement, mais surtout parce que cette voix ne t’étais pas inconnu. Tu te tournas alors en direction de la personne qui te semblait familière et c’est sans surprise que tu découvris Cameron, dans l’embrasure d’une porte. Déjà mal à l’aise d’être entré par toi-même, cela ne fit que s’accroître en voyant ton frère bien peu vêtu. A croire que c’était fait exprès, ou alors c’était une coïncidence de mauvais goût. Tu avais espérer ne pas le voir ici et n’avait donc rien prévu sur la façon dont vous alliez vous retrouvez, ni sur comment tu devais te comporter avec lui. Faire le frère ravi de retrouver son aîné n’était surement pas une bonne idée. Tu sentis d’ailleurs que l’homme en face de toi avait l’air tout aussi tendu et cela te rassura un peu. Tu gardas ton regard planté dans le sien, pour ne pas risquer de regarder ailleurs et après un silence qui sembla durer une éternité, tu pris simplement la parole. «Bonjour Cameron… » Tu l’accompagnas d’un sourire idiot, n’ayant rien trouvé d’autres à dire, en plus du fait que tout chez toi montrait que tu étais gêné en sa présence.

Tandis que je n’avais rien ajouté après avoir râlé contre le fait que je n’aimais pas être dérangé lorsque je dormais avant un vol, qui plus est se promettait d’être relativement long, j’étais partagé entre l’idée de retourner dans ma chambre, m’enfermer, retrouver ma contenance – et un pantalon – avant de confronter Camille, ou bien demeurer en place pour guetter sa réaction, parce que visiblement, vu ses dires précédents, ce n’était pas moi qu’il venait trouver pour discuter où je-ne-sais-trop-quoi. À vrai dire, il paraissait aussi choqué que moi par rapport au fait que nous étions maintenant l’un en face de l’autre, après des mois sans se parler, sans se contacter, parce que nous savions pertinemment tous les deux que ce serait trop étrange qu’on fasse comme si rien ne s’était passé. Enfin, moi je savais que ça ferait trop étrange pour moi, et vu la réaction de Camille, je me doutais bien que c’était pareil pour lui. Finalement, puisque j’étais trop mal à l’aise, et que même si normalement, je n’étais pas gêné de me promener avec peu de vêtements dans l’appartement, je me sentais soudainement un peu plus pudique, voire même trop pour mon caractère et ma personne, je voulus retourner dans ma chambre, fuir la situation comme je l’avais si bien fait au moment des faits. Toutefois, avant que je puisse faire un pas, Camille prit la parole, me saluant avec un sourire un peu crétin. Mon premier réflexe fut alors de dire, sur un ton que je ne saurais décrire, puisqu’il frôlait l’ironie, le manque de confiance et une touche peut-être exagérée de sérieux : « Salut… » Il n’en fallut pas plus pour que je me sente encore plus stupide que précédemment, me retrouvant encore une fois complètement dépourvu d’idées pour rendre la situation moins étrange, moins tendue, comme s’il n’y avait absolument aucune issue. Je poussai alors un soupir, puis je passai une main dans ma nuque pour la gratter, la ramenant ensuite à l’avant pour croiser mes bras sur ma poitrine – histoire d’en cacher un peu, quand même – et tentant d’éviter une discussion délicate ou un manque de mots à dire, j’ajoutai donc : « Ellie n’est pas là, si c’est elle que tu cherches. » Je continuai alors à le regarder, essayant tant bien que mal de reprendre un peu de mon assurance habituelle, mais c’était compliqué, beaucoup trop pour moi. Je me sentais lâche, je me sentais ridicule, vulnérable, et ça ne me plaisait pas. Tout ce que je pouvais espérer maintenant, c’était que tout allait se terminer, ou au moins se calmer, prochainement, parce que je ne savais pas encore combien de temps je pourrais me supporter.

Ce que tu craignais depuis si longtemps était enfin arrivé, si le temps avait pu te donner plus de courage pour affronter ton frère, ou juste le temps de trouver comment le faire, il n’en était pourtant rien. Dépourvu de toute confiance, tu te retrouvais là, pétrifié devant Cameron, ne sachant quoi dire à part simplement le saluer. A y réfléchir, ce n’était pas la chose la plus évidente que tu voulais lui dire, mais surement la meilleure pour démarrer la conversation. A moins qu’aucune conversation ne soit entamer, ce qui au fond, te faisait plutôt envie. Certes, tu savais qu’un jour ou l’autre il faudrait que vous mettiez les choses au clair, mais pourquoi maintenant ? Tu n’étais nullement préparer et était loin de vouloir régler des comptes sans y avoir songé au préalable. Puisque, depuis que cette nuit avait eu lieu, tu essayais au maximum de ne plus y penser. Malheureusement, elle existait bien et la présence de l’homme face à toi te le rappelait, avec des détails même plutôt gênants, compte tenu du peu de vêtements qu’il portait sur le dos. Finalement, il te répondit avec la même légèreté, bien que fausse et son ton de voix te fit frissonner. Tu n’aimais pas vraiment cette ironie avec laquelle il prononça ce simple mot et tu baissas les yeux, comme tout petit frère venant de ce faire gronder par son aîné. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu avais fait ça et releva le regard lorsqu’il reprit la parole. Soulagé, le fait qu’il croisait les bras t’empêchait de voir un minium son corps et cela te rassura un peu, mais s’il souhaitait enfiler un pantalon, ce ne serait pas de refus. Voyant la une opportunité de prendre la poudre d’escampette, tu répondis en haussant les épaules. « Euh.. ouais. C'est pas grave, je repasserais. » Ton cœur battit à cent à l’heure, juste pour avoir osé lui dire une pauvre phrase, et tu ne rêvais plus que de filer en courant. Tu te retournas donc en direction de la sortie, mais à peine tu fus dos à lui, que tu regrettas ton choix et te stoppa. C’était la première fois que tu étais confronté à lui et tu te défilais, alors que tu n’avais attendus que ça depuis le soir où il était parti comme un voleur. S’il y’en avait un qui devait avoir honte, ce n’était certainement pas toi. Ton corps cependant, n’était pas tout à fait d’accord avec ça et tes mains tremblaient de nervosité, mais tu soufflas pour te calmer et serra les poings pour les contrôler. Tu repris ensuite ta place, face à lui et planta de nouveau ton regard dans le sien. Tu essayas de reprendre un minimum de contenance, bien que tu te sentais surtout ridicule. « Ça fait un bail hein… Comment tu vas ? » Ton ton ce faisait mécanique, tes joues bouillonnaient et tes jambes flageolaient, mais tu devais lui parler, essayer d’avoir une discussion franche avec lui et ce, même si tu voulais te cacher le plus loin possible.

Je ne saurais pas décrire exactement ce qui m’était passé par la tête lorsque j’avais dit qu’Ellie n’était pas là. Peut-être qu’au fond de moi, ma partie faible, vulnérable, espérait que Camille était venu exprès pour voir notre petite sœur, et que c’était là l’unique raison. De ce fait, il partirait, et je n’aurais pas à le confronter, ni même à lui parler davantage, malgré le fait que ça faisait plus d’un an que les évènements étaient survenus entre nous. Cela en faisait, du temps, pour ressasser la chose, pour se convaincre qu’il fallait s’en remettre, voire même l’accepter – quoique cette dernière partie, jamais ce serait possible, pas dans mon cas au moins – mais je trouvais que ce n’était pas suffisant. Je devais admettre aussi que lorsque j’étais débarqué ici, c’était surtout pour ne pas y penser. J’avais fini par me trouver un boulot dans mon domaine, un boulot que j’aimais beaucoup, et j’avais commencé à me faire une vie dans cette ville, si bien que je n’avais plus repensé à toute cette histoire, jusqu’à aujourd’hui, ce moment précis où j’avais vu Camille alors que je me tenais dans l’embrasure de ma chambre. La conclusion était que je n’étais pas prêt à l’affronter, pas encore, mais je ne voulais pas l’admettre à voix haute, je ne voulais pas mettre Camille à la porte parce que je ne voulais pas lui parler. Il me restait plus qu’à espérer qu’il parte de lui-même, tout simplement. Pendant un instant, je crus que ça y était, puisqu’il avait tourné les talons, mais je me ravisai lorsque soudainement, il se retourna de nouveau et m’adressa la parole. Mes espoirs s’étaient envolés, pour de bon. Il faudrait que je parle, que je dise quelque chose. Cette simple idée qui, naturellement, se faisait sans que je réfléchisse, puisque parler, je le faisais avec aisance en temps normal, peut-être même un peu trop, sauf en ce moment. Il me fallut un instant pour tenter de reprendre un peu de contenance, et finalement dire : « Ça va… », réponse bien maigre, ridicule, qui ne menait à rien. Ne mener à rien n’était pas mon problème, puisque le moins je parlais, mieux c’était, je croyais, mais être ridicule, comme un homme qui ne sait pas quoi dire, ça, c’était problématique à mes yeux. C’est pour cette raison, quasi exclusivement, que je m’efforçai d’ajouter : « Et toi ? Ça fait longtemps que tu es arrivé ? », me félicitant intérieurement d’avoir réussi à formuler une phrase complète, sujet, verbe, compliment, tout. C’était un gros effort, et plus encore, j’étais capable d’attendre sa réponse dans détaler comme un lapin pour m’enfermer dans ma chambre ou la salle de bains, même si ce n’était pas l’envie qui manquait de le faire.

Alors que tu avais eu l’occasion parfaite pour partir, tu t’étais ravisé à la dernière minute, préférant affronter ton frère. Ce n’était pas ton genre d’agir de la sorte, de prendre les choses en main et de faire les choses qui devait être faite, sans que l’envie n’y soit. Mais voilà, ça avait été plus fort que toi et tu te retrouvais de nouveau en face à face avec Cameron. Tout ton corps trahissait la nervosité et il était difficile de cacher tes mains qui tremblaient ou ta voix chevrotante de façon discrète. Tu t’exprimas plutôt maladroitement, contrairement à tout ton corps qui était en tension pour ne pas céder à la panique. Tu réussi à lui poser une question banale et il te répondit, sur un ton beaucoup plus naturel que toi. Peut-être que de s’isoler lui avait permis d’oublier les évènements survenu entre vous, ou qu’il les avait seulement accepté. Tu n’en savais trop rien, mais c’est ce que tu allais tâcher de découvrir, pour que vous puissiez chacun aller de l’avant. Il te retourna ta question, demandant à la suite depuis combien de temps tu étais là. Cette question te surprit un peu au premier abord, tu ne savais pas s’il l’ignorait vraiment ou s’il essayait seulement d’entretenir la conversation, parce que toi tu fus au courant de sa présence bien rapidement. Après tout, peut-être que tu faisais une fixation là-dessus qu’il ne partageait pas et qu’il ne ressentait pas autant de malaise entre vous que toi. Quoi qu’il en soit, sa manière impénétrable avec laquelle il te parlait ne te rassurait guère et tu répondis d’une petite voix. « Ça va aussi. Je suis là depuis six mois à peu près. Et toi depuis… »Aucun mot ne te venait à l’esprit pour décrire votre relation et tu ne savais même pas pourquoi tu l’évoquais si tôt. Virant alors au rouge pivoine, tu essaya de te rattraper. « Bas ça doit faire neuf mois, non ? Vous avez l’air bien installé ici. »
   

Je fus quelque peu surpris que Camille m’avoue que cela faisait maintenant six mois qu’il était arrivé aux Bahamas. En fait, ce qui me choquait surtout, c’était que je ne l’avais pas su avant. Apparemment, il m’avait suivi de quelques mois, trois, environ, et pendant tout ce temps, jamais je ne l’avais croisé où quoi que ce soit. Après, je n’allais pas m’en plaindre, parce que si je l’avais croisé, je n’aurais pas eu d’autre choix que de lui parler, de le confronter, parce qu’éviter et prétendre ne pas reconnaître mon propre frère adoptif aurait été ridicule et immature de ma part, et malgré tout ce qui s’était passé, j’avais trop d’orgueil pour passer pour un idiot. Toutefois, je me demandais comment cela se faisait-il que personne ne m’avait tenu au courant, surtout que techniquement, personne ne savait pourquoi j’étais parti. J’avais prétexté avoir obtenu un poste plus payant dans une compagnie d’aviation postée aux Bahamas, et d’une certaine façon, c’était le cas, mais ce n’était pas là la vraie raison; jamais je n’avais fait une demande pour travailler à Nassau avant de quitter la ville où je travaillais auparavant. Ça, personne ne devait le savoir, puisqu’autrement, ce qui s’était passé serait dévoilé au grand jour, et c’était la dernière chose que je voulais tant ça me mettait mal à l’aise. J’étais tellement inconfortable avec tout cela, avec ce que nous avions pu faire, que je m’en montrai particulièrement tendu un instant lorsque Camille sembla vouloir me retourner la question, sachant qu’il était à deux doigts d’en parler. J’écarquillai les yeux, comme si je le sommais de ne pas dire quoi que ce soit à ce sujet, et heureusement, il rattrapa le coup, posant une question bien moins gênante. Je ne fis qu’approuver, et je dis : « Ouais, à peu près. » Puis, sachant qu’il avait parlé de notre dite installation, je me passai une main dans les cheveux, et j’ajoutai : « On est bien oui. Enfin, ça ne semble pas déplaire à Ellie. Après, moi je sais pas, je ne suis pas ici tous les jours… » Je marquai ensuite une pause, étant à court de mots, puisque je réalisais à quel point mon discours devenait pathétique. Habituellement, lorsque je parlais de moi comme ça, de façon aussi maladroite, c’était signe d’inconfort, et ça ne me plaisait pas du tout, si bien que je terminai en poussant un soupir, regardant Camille en ne sachant pas trop quoi dire d’autre par la suite.