« Alan m’a écrit. Il dit qu’il veut me voir. »
Chelsie lâche ces deux courtes phrases dans un seul souffle en entrant dans le bureau du thérapeute, donnant ainsi l’impression qu’elle avait quitté sa chambre simplement pour lui tenir ces quelques mots. Ce n’était pas du tout le cas pourtant, elle avait rendez-vous, mais plutôt que d’utiliser les marques de politesse comme « bonjour », et « comment allez-vous ? », comme à chaque jour depuis qu’elle était ici, la jeune femme était allée droit au but, ne voyant pas comment elle aurait pu faire autrement dans le cas présent. C’était la première fois depuis qu’elle avait décidé d’aller chercher de l’aide qu’elle se décidait finalement à se reconnecter à la réalité, espérant voir quelque chose de plus intéressant, de plus positif, et la première chose qu’elle reçoit, c’est un message d’Alan, son ex, qui fait comme si rien ne s’était passé, ou presque.

« Ah bon ? Et t’a-t-il dit ce qu’il voulait ? »
Chelsie réfléchit à la question, les lèvres légèrement pincées, tandis qu’elle s’allonge dans le fauteuil, sachant qu’une fois installée le thérapeute ne pourra pas voir son air songeur. Alan ne lui a pas dit ce qu’il voulait, donc la réponse à la question du thérapeute était un non, évidemment. Toutefois, Chelsie ne pouvait pas s’empêcher de ne pas ressentir de l’appréhension face à sa demande, qui semblait beaucoup trop chaleureuse et beaucoup trop simple à ses yeux, surtout après tout ce qui s’est passé. Justement, devant cette torture, elle ne sait pas quoi faire, si bien après avoir poussé un soupir, elle décida finalement de répondre :

« Non. Il a juste parlé de se revoir… »
« Et tu as peur que ça te fasse replonger, c’est ça ? »
Nouveau soupir de la part de Chelsie, qui était en train de se demander pourquoi fallait-il que les thérapeutes sachent toujours taper dans le mile. Elle savait bien que c’était leur métier, et que dans le cas présent, celui qui la suivait la voyait tous les jours, mais elle savait que c’était plus général. Avec Camille, pour le peu de temps qu’elle l’a consulté, c’était pareil. Et ça la troublait, parce que même si elle y travaillait très fort, elle avait toujours tendance à créer des liens avec le passé. Par exemple, le simple mot « replonger » avait provoqué chez elle un déluge d’émotions, qui lui faisaient comprendre que oui, elle avait peur de replonger, de redevenir le même être misérable qu’elle était lorsqu’elle était entrée pour la première fois dans cet hôpital, demandant toutes les ressources à disposition pour aller mieux, pour finalement se sortir de sa torpeur, puisqu’elle savait que si jamais elle continuait, elle pourrait s’enfoncer toujours plus. Au départ, elle espérait que les Bahamas allaient lui permettraient à eux seuls d’aller mieux. Elle n’en était malheureusement pas convaincue, pour la simple et bonne raison que dans un premier temps, elle ne voulait même pas quitter Hawaii. Même si elle n’y avait jamais fait le lien des vacanciers, du paradis, d’un endroit où il fait bon vivre, en raison de sa mère qui ne s’occupait pas d’elle, qui lui faisait croire qu’elle aurait peut-être mieux fait d’être adoptée, comme sa grande sœur, de sa grossesse à seize ans, de son petit-ami – Alan – qui la laisse tomber, et finalement, du décès de Kyah, qu’elle avait le droit de voir même si elle l’avait faite adopter, elle n’arrivait pas à quitter l’endroit, simplement parce qu’elle avait peur de quitter son enfant, parce qu’elle avait peur que personne n’aille mettre des fleurs sur sa tombe à sa place.

Finalement, elle s’était laissée convaincre, et tandis qu’elle espérait trouver de la lumière au travers de sa vie misérable, de ses cauchemars, entre autres par la rencontre de son premier psychologue, Camille, qui fut, pour elle, semblait-il, la première personne qui voulait sincèrement l’aider après Andréa. Par contre, ce qui devait être une relation entre cliente et psychologue avait commencé à se dégrader, puis Alan était réapparu dans le portrait. Chelsie n’avait pas su se sortir la tête hors de l’eau comme elle avait espéré le faire. En fait, ce fut pire, et c’était pourquoi elle était ici à cet instant précis; pour réellement se relever, passer à quelque chose de nouveau, même si elle n’avait pas encore décidé ce qu’elle allait faire. Prendre un autre emploi, retourner à l’université, suivre des cours à distance, les opportunités étaient larges, mais Chelsie ne s’y intéressait pas pour le moment. Tout ce qui comptait pour elle, c’était de tenter de croiser les gens de son passé sans constamment fondre, devenir vulnérable, et Alan était une de ces personnes. Comme toujours, son thérapeute avait raison, et elle fut obligée de l’admettre en lui affirmant :

« Oui… C’est ça… »
« Écoute Chelsie, c’est ton choix. Je crois que tu as pris assez de recul pour juger ce qui est bon pour toi. Tu peux tenter de le voir, ici, et si ça ne marche pas, on travaillera encore. C’est comme tu veux. »
« Je vais y penser… »
Chelsie ne sut pas quoi ajouter d’autre. Elle ne pouvait pas prendre une décision dans l’immédiat, et il lui faudrait peut-être encore du temps avant de se lancer dans quoi que ce soit, peut-être quelques jours, quelques semaines, elle n’en savait rien. Coupée de la réalité, elle se sentait bien dans son petit cocon, elle devait se l’avouer, et le vrai monde, ses problèmes lui faisaient peur, même si à un certain point, elle savait qu’elle n’aurait pas le choix de les affronter.