Alors que l’après-midi touche à sa fin et que le soleil est sur le point de se coucher sur la plage, toi, tu es dans ton appartement, en train de se préparer pour prendre ton service. Enfin, pour toi, service c’est un bien grand mot, tu considères plutôt cela comme un passe-temps rémunéré. Pourquoi ? Parce qu’à la base, tu étais aux Bahamas pour te réinstaller – aux yeux des travailleurs qui assurent ta réinsertion, c’est ça – et commencer à neuf, mais toi, tu étais surtout là à la base pour passer du bon temps, profiter de la vie pour ce qui semblait être la première fois depuis des années, soit depuis tes dix-huit ans, quand tu es parti d’Angleterre pour aller faire ton service militaire à West Point, aux États-Unis, compte tenu que c’était dans ton droit de servir l’armée américaine vu l’origine de tes parents. Puis, on t’avait proposé cet emploi que tu jugeais parfait pour toi, puisque surtout depuis ton court passage en prison pour aucune raison précise, ne serait-ce que d’une accusation à tort dans le cadre d’un accident, tu adorais jouer aux cartes et les manipuler. Finalement, le comble, c’est que depuis peu de temps, tu sortais avec une fille superbe, que tu aimais beaucoup. Si ce n’était pas profiter de la vie, tu ne savais pas ce que c’était.

Cependant, tu ne t’attendais pas, tandis que tu boutonnais la veste de ton uniforme, que tout allait basculer. Tu finissais de te préparer lorsque tu entendis soudainement frapper à la porte d’entrée. Au début, tu aurais voulu demander à ta cousine, Andréa, qui était venue s’installer depuis peu de temps, d’aller ouvrir, parce que tu n’étais pas prêt à partir, mais elle était en train de travailler, et de ce fait, sitôt que tu eus terminé de refermer ta veste, étant maintenant prêt à aller au casino de l’hôtel pour prendre ton poste, tu te rendis à l’entrée et tu ouvris la porte. Tu tombas alors nez à nez avec un jeune homme vêtu d’un costume dessiné dans des couleurs que tu connaissais trop bien; les couleurs de l’armée. Tu ne peux pas t’empêcher alors de le considérer d’un air sérieux, aussi sérieux que le sien, si ce n’est pas plus. Le jeune homme ne sourcille pas, même si tu as au moins une tête de plus que lui, et il te dit :

« Lieutenant Matthews ? »
« C’est moi. »
 « C’est pour vous. »

L’homme te tend alors une lettre que tu t’empresses d’ouvrir, même si tu crois déjà avoir deviné. Tu regardes les premières lignes, et tu comprends que tu as visé juste; tu es rappelé sous les drapeaux. Tu restes immobile pendant un moment. Tu sais que cela pourrait arriver, puisqu’après avoir été blanchi de l’accident et être sorti de prison, tu as eu le droit de rester à l’armée comme réserviste. Puisque c’était à ce moment la seule chose que tu avais été réellement connu dans ta vie, étant donné que ton enfance avait été on ne peut plus platonique, sauf pour ton agression par une bande de rue à tes dix-sept ans, l’armée, c’est tout ce que tu avais. Cependant, depuis ces derniers mois, tu avais eu l’espoir que cela ne se reproduirait pas, puisque tu avais commencé à profiter de la vie, à te sentir bien. C’est à un tel point qu’après avoir parcouru toute la lettre des yeux, tu reportas ton regard sur le jeune militaire, et tu lui dis :

« Vous êtes sûr ? Je ne suis que réserviste après tout… »
« Nous le savons, et il est stipulé que vous seriez rappelé en cas de besoin. C’est ce qui arrive, nous avons besoin de vous lieutenant. »
 « Je pars quand ? »
« L’avion décolle demain soir pour votre base à New York. Nous vous donnerons de nouvelles instructions là-bas. »
« Merci. »

Le jeune homme te fait le salut militaire, que tu lui rends avec beaucoup moins de conviction, puis tourne les talons et quitte les alentours de ton appartement, tandis que toi, tu fermes la porte et tu t’y adosses pendant un instant, tentant alors de ressasser tout ce qui vient d’être dit en si peu de mots. Ce qui te vient en premier à l’esprit, c’est que tu pars demain, et donc, que ce sont tes dernières vingt-quatre heures ici. Tu as toujours préféré penser ici, histoire de ne pas avoir de regrets si jamais tu venais à ne pas rentrer chez toi. Par contre, cette fois-ci, ces quelques heures te semblent trop peu, trop courtes. Tu vas probablement partir avec des regrets, parce que tu ignores si tu vas pouvoir prévenir tout le monde, il y a tant de gens à qui tu étais attaché avant que tu as retrouvé ici, ou bien des gens à qui tu t’es attaché. La première personne qui te vient d’ailleurs à l’esprit, c’est Kyrah. C’est certain que tu dois lui dire, et c’est certain que c’est avec elle que tu vas passer ton dernier jour ici, c’est indéniable. Sauf que tu ne sais pas comment faire, tu ne sais pas quoi lui dire, puisque tu as soulevé que tu étais réserviste, mais c’était léger, jamais tu n’aurais cru que ça arriverait ainsi, aussi soudainement. Cependant, pour le moment, tout ça, ça semble être des détails; tu sais à présent que tu vas devoir laisser tomber ta vie de bonheur et de plaisir, le soleil, la plage et le bon temps, pour laisser ta vie prendre un sens probablement complètement différent.