Jamaïke

Depuis maintenant trois jours environ, les choses étaient loin d’être pareilles, loin d’être aussi détendues et heureuses à la maison. Nous n’avions aucun souci quelconque, et nous n’étions pas en froid, James et moi, ou du moins, pas exactement, mais il n’en demeurait pas moins que les derniers évènements avaient fait en sorte qu’il était maintenant beaucoup plus difficile de vivre normalement, de prétendre comme si tout allait bien, comme si nous étions une famille heureuse sur le point d’accueillir un autre enfant à la maison prochainement. Pourquoi ? Puisqu’alors que nous pensions avoir que des bonnes nouvelles à ma dernière échographie, compte tenu du fait que tout allait bien pour le moment, nous avions été confrontés à quelque chose de surprenant, mais certainement pas dans le bon sens. En effet, alors que le médecin nous avait montrés que je portais à nouveau deux bébés dans mon ventre, ce qui aurait pu être source de grande joie, il avait installé un nuage de tristesse dans ce bonheur en annonçant que vu le rythme cardiaque des deux bébés, un des deux n’arriverait presque certainement pas à survivre au moment de la naissance, et que de ce fait, il fallait mieux se préparer à accueillir un seul enfant et faire le deuil du second, puisque l’extirper de mon ventre pour le moment serait trop dangereux pour l’autre jumeau que je portais et auquel je devrais faire attention jusqu’à la fin de ma grossesse. Au départ, tout cela m’avait semblé bien compliqué, mais lorsque j’avais soudainement réalisé qu’en fait, il fallait que je porte pour encore presque cinq mois un enfant qui allait probablement décéder au moment de sa naissance pour laisser vivre en santé son frère jumeau, je n’avais pas su demeurer indifférente, et James non plus. Particulièrement bouleversée, je n’avais pas osé aborder le sujet avec qui que ce soit depuis l’échographie, puisqu’avant tout, je voulais faire disparaître cette sorte de tension, ce nuage de tristesse qui semblait constamment flotter sur nos têtes depuis ce fameux jour. Je n’en avais pas vraiment eu l’occasion jusqu’à aujourd’hui, où pendant ma pause, je choisis d’aller voir mon époux à son bureau, compte tenu qu’il travaillait aujourd’hui. Sitôt changée, je montai alors dans les bureaux administratifs, et connue des gens qui s’y trouvaient, je n’eus aucun mal à me rendre jusqu’au bureau occupé par mon époux. Ce fut seulement une fois devant sa porte que j’hésitai, et le cœur battant la chamade, je frappai timidement, et je dis, dans un sourire un peu nerveux : « Chéri, tu es occupé ? Je ne te dérange pas, j'espère... » Je pinçai ensuite les lèvres, attendant une réponse de sa part, en espérant sincèrement qu’il accepterait de me recevoir, que nous pourrions même peut-être sortir tous les deux, aller marcher un peu, se détendre, vu comment toute cette histoire semblait nous stresser tous les deux, et pour cause, je n’allais certainement pas le nier.

Jamaïke

Même si je ne m’attendais pas à une réponse chaleureuse de sa part, compte tenu de ce qui se passait dans nos vies ces derniers temps, je ne pus m’empêcher d’être quelque peu choquée par rapport à sa réaction, si bien que je demeurai silencieuse un petit moment, les sourcils froncés. Cela pourrait faire en sorte qu’on pense que j’étais offusquée, mais je ne l’étais pas, parce que je savais ce qu’il ressentait, puisque je le ressentais aussi, même si je n’avais pas la même façon de l’exprimer. Je savais aussi parfaitement que vu le tempérament de mon époux, le fait qu’il se renferme ainsi n’était pas vraiment une surprise, même si ce n’était pas vraiment agréable pour lui comme pour moi. C’était entre autres pour cela que j’étais venue, histoire de voir si je ne pourrais pas l’aider à sortir de cette coquille dans laquelle il semblait s’être enfermé depuis l’échographie, et surtout histoire d’arranger les choses, évidemment. Suite à ce court silence qui s’installa dans le bureau, silence pendant lequel je ne sus pas vraiment quoi faire, je choisis, malgré le fait qu’il disait que je le dérangeais, de faire un pas de plus dans la pièce, puis un second, et un troisième. Si je ne tentais rien, alors je resterais avec l’idée qu’il s’enfermait dans son bureau, dans son travail pour ne pas me parler, et cette idée, elle ne me plaisait pas du tout. Je n’en pouvais plus de l’éviter ainsi, ça me faisait mal au cœur, et je ne voulais plus surmonter cette épreuve seule, le voir surmonter le tout seul aussi. J’étais persuadée que nous pouvions le faire tous les deux, ou du moins essayer. C’est pourquoi je choisis de tenter une seconde fois de l’approcher, affirmant doucement : « Je suis sûre que ça ne te ferait pas de mal de lâcher tout ça quelques minutes pour moi… Si ? » Après, je ne pouvais certainement pas lui dire comment faire son boulot, puisque je ne le connaissais pas, et je savais qu’il était admirable de sa part d’en faire autant. Je tentai alors une autre approche, tandis que je venais à contourner le bureau pour me placer derrière lui, ajoutant cette fois-ci : « Tu… Tu as déjà mangé ? » Peut-être que je réussirais à avoir mon homme de cette façon, je ne savais pas encore. Je l’espérais, en tout cas.