Dix-neuf heures. Morgan et moi sommes installés au salon, et aucune de nous deux ne parle. Notre regard alterne constamment entre l’autre personne, l’heure et finalement la porte. De temps à autre, un de nous deux tente de passer un appel, mais c’est toujours en vain. La pression est immense, je sens mon cœur battre la chamade, et je ne sais pas quoi faire. Je regarde alors Morgan, il semble aussi perturbé que moi. Il n’a pas de voiture pour aller voir ce qui se passe au centre de parachutisme, là où nos parents avaient rendez-vous il y a maintenant six heures de cela. Leur saut, leur cadeau d’anniversaire de mariage, aurait du durer deux heures tout au plus, et de ce fait, ils auraient dû être rentrés afin de continuer à célébrer avec nous. Nous avions déjà même mis la table, préparé le dîner, il ne manquait plus qu’eux, et ils n’arrivaient pas. Quelque chose ne tournait pas rond, c’était certain; ils n’étaient pas du genre à nous faire ce genre de mauvais coup. Puis, au bout du compte, on frappa à la porte. Morgan et moi poussâmes en même temps un soupir de soulagement, puis mon grand frère fut le premier à se lever pour aller vers la porte, et je le suivis de pas très loin. Lorsque nous fûmes tous les deux dans l’embrasure, Morgan ouvrit la porte, mais pas sur nos parents. Deux policiers se tenaient là, leur casquette retirée, et nous demandèrent s’ils pouvaient entrer. Déjà là, ça ne présageait rien de bon, mais la suite, ce qui se dit dans la cuisine, là où nous avions pris soin de pousser toutes les choses; fleurs, couverts bien mis, fut on ne peut plus mauvaise. Ce qui se passa par la suite changea complètement notre vie à Morgan et moi; nous étions devenus en l’espace d’un après-midi des orphelins. Nos parents étaient décédés puisque leur parachute n’avait jamais ouvert. Nous étions seuls au monde, nous n’avions l’un et l’autre comme seule famille, il faudrait qu’on se serre les coudes plus que jamais à partir de ce moment, puisque l’avenir était incertain, en espérant que celui-ci ne nous sépare pas, puisque ça, je serais incapable de le supporter, et ça, c’était clair, même si le reste était si obscur et abstrait.

Dix-neuf heures. Je presse soudainement Morgan de sortir de la salle de bains afin de quitter cette chambre d’hôtel histoire d’aller au restaurant et sortir en boîte. Je n’ai pas envie de défoncer la porte – parce que ça me coûterait cher, et mon salaire de musicienne ne me permet pas de payer des frais supplémentaires sur la suite – et découvrir mon frère en train de se morfondre comme il l’avait fait à plusieurs reprises depuis quelques semaines, soit depuis son divorce. Je pouvais comprendre que cette séparation lui faisait du mal, mais je ne pouvais pas supporter de le voir ainsi plus longtemps. C’est pour cela que je l’avais emmené aux Bahamas, soit pour lui changer les idées, tenter de le remettre en selle afin qu’il puisse continuer à vivre malgré tout et tente d’oublier tout cela ne serait-ce qu’un peu. Je savais que ce serait difficile, parce que même moi, je ne comprenais pas ce qui s’était passé. Jamais je n’aurais cru que Jules, que je connaissais depuis très longtemps, aurait pu faire une chose pareille. Quoiqu’il en soit, le mal étant fait, la seule chose à faire était de réparer les pots cassés. Finalement, Morgan se décida à sortir de la salle de bain. Étant prête de mon côté, nous ne perdîmes pas plus de temps et nous nous dirigeâmes vers le restaurant. Suite à un repas relativement copieux, Morgan voulut retourner à la chambre, mais je lui en empêchai. Je le trainai alors jusqu’à une boîte de nuit, ne me doutant certainement pas que cette idée allait bouleverser le reste de notre vie. Après une soirée bien arrosée pour mon frère, raisonnable pour moi, je voulus prendre le volant de notre voiture de location pour retourner à l’hôtel et dormir, sauf que Morgan avait pris les devants, et dans une rage que je ne lui comprenais pas, probablement due à l’alcool, il prit le volant sans que je puisse faire quoique ce soit. J’eus beau le sommer de se tasser, de me laisser conduire, puisque j’étais encore en état de le faire, mais il ne voulut rien entendre. Puis, je hurlai, et ce fut le noir. Nous venions tout juste de percuter un véhicule, mais ne me demandez pas les dommages, mon propre état, l’état de Morgan. Je n’en sais rien, je ne sais plus, je suis encore aussi perdue qu’à la mort de nos parents, sauf que cette fois-ci, c’est ma vie qui est en danger, pas la leur.