« Tiens, Mathys, tu la donneras à Erin, je suis sûre qu’elle va l’adorer. » Alors que ma mère me dit cela avec émotion, la voix visiblement affectée par tout cela, elle posa un petit objet métallique tout léger dans le creux de ma main, m’y faisant refermer les doigts comme si c’était là l’objet le plus précieux au monde. C’est à peine que si je ne me demandais pas si j’avais le droit de regarder. Puis, au bout de quelques secondes, j’ouvris les doigts, et je vis dans ma main une bague en or surmontée d’une perle et de diamants qui entouraient cette fameuse perle. Puis, comme si ma mère avait lu dans mes pensées, compte tenu que j’en étais à me demander d’où cela pouvait bien provenir, elle ajouta : « Elle appartenait à ta grand-mère. Elle me l’a donnée, mais je n’ai jamais osé la porter. Maintenant, je crois qu’il est temps que tu la donnes à ta petite-amie. Vous êtes bien partis pour faire votre vie ensemble, non ? On n’a pas grand-chose à offrir, mais je peux au moins lui offrir ça, vous offrir ça…» Je regardai alors ma mère, légèrement décontenancé. En effet, vu de l’extérieur, Erin et moi étions partis pour faire notre vie ensemble. Cela faisait depuis que nous avions quinze ans que nous étions en couple, et nous n’avions jamais eu de problème majeur. Erin plaisait à mes parents, je plaisais à ceux d’Erin, et nous n’étions pas du genre à nous disputer, parce que bien souvent, je la laissais faire ce qu’elle voulait, et cela me convenait parfaitement. Cependant, j’ignorais totalement si c’était au point de la demander en mariage. Je n’y avais jamais pensé, mais à voir le visage de ma mère, ravie de me donner cette bague qui semblait si chère, si précieuse à ses yeux, alors que mes parents n’avaient même pas les moyens de m’envoyer à l’université, je ne pouvais certainement pas lui refuser ce genre de chose. Regardant une dernière fois la bague, je soupirai discrètement, puis je pris ma mère dans mes bras en signe de remerciement, me demandant déjà comment je pourrais faire une telle demande à ma petite-amie alors que mentalement, je n’étais pas prêt, mais pas du tout.

Allongé dans le lit de ma petite-amie, chez qui j’étais allé passer la soirée, je regardais fixement le plafond depuis maintenant une heure. Je repensais à ces dernières heures, à tout ce qu’Erin semblait avoir ressenti en ce laps de temps. Elle avait été intriguée, avait pleuré, avait été plus qu’heureuse, et finalement, après une nuit d’amour, elle semblait comblée, puisqu’elle dormait tranquillement, la tête posée sur mon torse, se doutant nullement de toutes les questions qui pouvaient m’assaillir pour le moment. Pourtant, je devrais être heureux également, en train de dormir paisiblement à ses côtés, mais je ne l’étais pas. Je ne l’avais pas été de la soirée, et mon manque de réaction que j’avais tenté tant bien que mal de cacher me faisait peur. Il est certain que j’avais été nerveux lorsque je m’étais pointé chez elle bien habillé, une bouteille de champagne à la main, et cela avait été plus que pire lorsque je m’étais finalement agenouillé devant elle, lui montrant alors la bague pour la demander en mariage. Pendant un instant, j’ai cru comprendre que j’espérais qu’elle me dise non, mais ce n’était pas arrivé. J’avais été parfait, semblait-il, si bien que tout allait continuer comme d’habitude, à savoir que je resterais ainsi, à acquiescer à chaque demande, chaque propos de ma fiancée, pour le reste de ma vie. Cela pourrait être pire, j’en convenais, mais j’en étais à me demander si c’était vraiment ça que je voulais, vivre quelque chose de monotone pour le reste de mes jours. Il n’y avait plus d’étincelle entre Erin et moi, et c’est sur cette pensée que je finis par misérablement m’endormir, n’arrivant malheureusement pas à me défaire de l’étreinte d’Erin.

« Allez Mathys, tu vas faire ça une fois dans ta vie ! Et puis, Erin ne t’en voudra même pas, on va faire rien de mal ! » Encore une fois, je finis par accepter sans rechigner. Je ne rechignais pas, je n’étais pas comme ça, bien que l’idée d’aller dans une taverne ne me plaisait pas vraiment, pour tout dire. Je ne voyais pas la pertinence de tomber dans un telle déchéance peu de temps avant un mariage, enterrement de vie de garçon traditionnel ou non. Je me laissai alors pousser dans de bar d’hôtel à la fois luxueux et sombre, presque louche, et toujours sans broncher, je m’assieds à la table choisie par mes trois amis qui m’accompagnaient pour la soirée. Avant même qu’on nous serve quelque chose à boire, un d’entre eux s’adressa à une des filles à moitié nues qui dansaient, lui demandant sur un ton quasi vulgaire « Hey cocotte ! Viens danser pour mon pote là, c’est son enterrement de vie de garçon ! Il en a besoin ! » "Cameron, ta gueule !" Trop tard. La fille interpellée fit alors demi tour, grimpa sur la table, et commença à faire son spectacle. Au début, je ne voulais pas nécessairement regarder, puis la curiosité me gagna, et je me retrouvai alors face à face non pas avec une femme toute refaite, un air arrogant et allumeur dégoûtant au visage. Cette fille, qui semblait plus jeune que moi-même, avait quelque chose de provocateur, de sexy, voire même d’attirant. Tandis que mon attention était portée sur cette danseuse, mon ami posa alors une liasse de billets devant moi, à l’attention des danseuses si jamais j’appréciais le spectacle. J’en pris alors deux, et lorsque la demoiselle se pencha en ma direction, je lui tendis, et je lui lançai sans le contrôler un regard qui affirmait clairement que je passerais bien la soirée avec elle, voire même plus, si affinités.

« Mathys, s’il te plait, ne m’énerve pas… Dis-moi juste… Dis-moi que c’était une erreur, que tu regrettes et que tu ne recommenceras plus. Après, je te pardonne, et on fait comme si de rien n’était… » « Non Erin, ce n’était pas une erreur, et je ne regrette rien. Je me suis senti vivant pour la première fois depuis huit ans ! En fait, pour tout te dire, ça m’a plu ! Beaucoup plus que n’importe quelle fois avec toi ! » La gifle partit alors toute seule pour venir se poser violemment sur ma joue, me faisant alors taire un instant. Je demeurai le visage tourné sur le côté un instant, puis je reportai mon regard sur elle, le même regard que précédemment, montrant alors que je ne voulais pas ravaler mes paroles. Il m’arrivait rarement de dire ma façon de penser comme cela, de défier Erin, tout le monde, mais cette fois-ci, hors e question que je me laisse faire. Cette nuit avec la strip-teaseuse, Elyxir, avait tout changé de ma vision des choses. Je ne voulais plus de cette vie ennuyante avec une femme que je n’aimais plus, qui ne m’apportait rien de nouveau sauf des remords d’être allé aussi loin avec elle. Visiblement, cela ne lui plaisait pas du tout, à croire qu’elle aimait bien que je sois son toutou de poche, et ce, depuis le début. Et maintenant que je ne voulais plus l’être, tout ce qu’elle sut dire et faire, ce fut de me montrer la porte, et me dire : « Tu prends tes affaires, et tu quittes cet appartement tout de suite. Je ne veux plus jamais te revoir. » « Redonne-moi la bague. » Erin prit alors l’anneau qui lui ceignait l’annulaire gauche, puis ce fut limite si elle ne me la lança pas. Rapidement, je la mis dans mes poches, puis je l’écoutai me dire : « Non, en fait, tu viendras les chercher demain. Sors d’ici tout de suite, je ne veux plus te voir. »

Encore et toujours persuadé que j’étais dans mon grand lit, je fis ce que je faisais à chaque matin, à savoir me retourner de l’autre côté pour regarder l’heure. Et puis, comme les trois derniers jours, je me retrouvai affalé par terre, me servant alors à moi-même un des réveils les plus brutaux qui pouvaient exister sur la Terre. Enfin, je ne pouvais pas dire que j’étais bien endormi, puisqu’un canapé, ce n’était pas le plus recommandé pour avoir une bonne nuit de sommeil, mais je ne m’en plaignais pas, c’était mieux que de dormir à la rue. Après tout, je n’avais pas le choix, je n’avais pas les moyens, avec mon boulot, de me louer un appartement seul, ou même de prendre une chambre de motel miteuse en attendant de trouver quelque chose. Tout ce que j’avais maintenant, c’était le peu d’affaires qu’Erin m’avait permis de garder, et une énorme reconnaissance envers Camille, chez qui je squattais maintenant. De fiancé avec un toit sur la tête, j’étais devenu célibataire, sans domicile fixe, mais pourtant plus libéré que jamais, soulagé d’un poids, bien que d’autres problèmes me guettent, j’en étais parfaitement conscient. Au moins, cela me donnait quelque chose à faire, à penser, et pour moi, c’était mieux que de ne rien penser et ne rien faire, être au service d’une autre personne sans aucun plaisir à l’être.