Je laisse glisser mon stylo sur la feuille de papier :

Je m’arrête quelques secondes. Jon… Il connait toute ma vie de toute façon ! Je me souviens d’une fois où on s’était engueulés, chaque mot est gravé dans ma mémoire à jamais, on devait avoir seize ans, c’était dans un petit parc, au début de l’automne… et où je lui avais balancé à la gueule :

« De toute façon tu ne me connais pas ! Tu sais rien sur moi ! Tu sais pas ce que j’ai vécu alors laisse-moi ! »

Et il m’avait pris par les épaules, assez fort pour que je ne me débatte pas, puis doucement, il m’avait dit :

« Tu t’appelles Elena Juliet Cooper. Tu es née le 06 octobre 1991. Tes parents sont pleins aux as mais ton père est un vrai con. Il battait ta mère. A tes 12 ans, tu as persuadé ta mère de divorcer parce qu’elle était terrorisée à l’idée que ton père parte dans une crise de colère pas permise. Finalement ça c’est relativement bien passé. Tes parents se sont quittés, tu as demandé à rester avec ta mère et tu as perdu tout contact avec ton père. Tu es forte, je t’admire tu sais ? Tu es brillante en cours, même si en soit, tu bosses pas vraiment. Bah oui, t’es une déconneuse toi. Toujours là pour faire la fête, sortir avec des potes… T’as un sale caractère et tu t’en cache pas. Tu dis ce que tu penses et tu t’en fous des conséquences. Tu veux pas montrer qui tu es vraiment, tu caches tes sentiments. Parce que t’es une grande sensible en fait, très attentionnée. En plus tu es drôle, même si tes blagues font pas rire tout le monde, moi je les adore. T’es aussi une p’tite rebelle, tu fais tout pour défier tout le monde, à croire que tu veux t’attirer des ennuis ! Je pense que c’est à cause de ton père… T’adore la musique. T’en écoute tout le temps. Tu joues du piano et de la guitare aussi, et tu chantes, même si t’aimes pas jouer et chanter devant les gens. Je trouve ça dommage, tu joues bien et t’as une belle voix… T’es une artiste de toute façon. T’aime beaucoup le sport aussi. Courir, tout ça, c’est ton truc. T’es une adepte du footing d’ailleurs. Et puis… T’es magnifique. Si, c’est vrai, qui pourrait dire le contraire ? T’es grande, fine mais pas maigre, t’as de beaux cheveux blonds, légèrement ondulés, un visage parfait, avec une peau parfaite, des lèvres roses et pulpeuses que tous les mecs rêvent d’embrasser, un nez juste bien, des yeux… Ohlala tes yeux, tu sais que je pourrais m’y noyer ? Ils sont bleus, comme un océan. En fonction de la lumière et aussi de ton humeur, ils peuvent être plus verts, ou gris. En fait, je crois que rien qu’en regardant tes yeux, je peux lire tout sur toi. Tu sais quoi ? Tu pourrais devenir mannequin. »

Puis à ce moment-là, une larme a roulé sur ma joue et il m’a pris dans ses bras. Pourquoi j’ai pleuré ? Parce que je m’en voulais de lui avoir dit ce que je lui avais dit… Ouais, je regrette souvent ce que je dis… On est sortis ensemble pas longtemps plus tard. J’avais 17 ans, il en avait 19. On s’est séparés presque un an après, parce qu’on s’est rendu compte que l’amour c’était pas pour nous, qu’on était mieux en amis. On est resté meilleurs amis d’ailleurs, même si c’est le mec avec qui j’ai été en couple (et il y en a eu un paquet) que j’ai le plus aimé. Ce mec c’est un peu mon grand frère protecteur.

On s’est rencontrés grâce à Nat en fait, à notre entrée au lycée. Ouais parce que Jonathan est le grand frère de Natasza, enfin elle a été adoptée mais la famille Wilde avait déjà un fils, Jon. Avec Natasza, on est vite devenues meilleures amies. Nat c’est la fille à qui je me confie, qui sait tout sur moi, qui est toujours là pour moi… Bref, ma meilleure amie quoi. Après qu’on ait cassé avec Jon, on est parties, tout un été, juste toutes les deux, dans son vieux pickup, pour un road trip à travers les USA. C’était vraiment cool, le meilleur été de ma vie. Loin de tout ce que je connaissais, un break (ouais, j’ai souvent besoin de breaks), avec ma meilleure amie, à vivre au jour le jour, rencontrer plein de gens, dormir à la belle étoile, chanter autour d’un feu de camp avec nos guitares. Non, c’était vraiment génial.

Puis après sont venues les études en architecture. Pourquoi l’architecture ? Je sais pas trop à vrai dire. Enfin bon, je suis partie pour cinq ans. Cinq longues années où j’ai un peu perdu de vue Nat et Jon même si je sais qu’ils se sont mis ensemble, même fiancés. J’étais contente pour eux ! Moi j’ai pas eu d’histoire sérieuse. Je suis devenue mannequin en parallèle de mes études. Et oui, je me suis souvenue de ce que Jon m’avait dit ce jour, dans le parc, et je me suis dit pourquoi pas. Il fallait bien que je les finance ces études ! J’ai vite pris mon indépendance. A mes 18 ans, j’ai quitté le domicile familial, laissant ma mère seule (oui, oui, fille indigne vous allez dire…) pour m’installer dans un petit appart très cool. J’avais une vie tranquille, études, mannequinat, mecs. J’avais tout ce que je voulais en fait.

Et pourtant je n’étais pas heureuse. Une vie banale, sans action, sans rien. J’ai fini mes études, j’ai continué le mannequinat, je me suis à nouveau rapprochée de Jonathan, plus que de Nat d’ailleurs. Mais je ne savais pas quoi faire, vraiment pas. Et puis est venu ce coup de téléphone :

« Elena? Prépare ta valise, on part aux Bahamas dans dix jours. »

Nat… Pourquoi ? Et puis pourquoi pas en fait ? Elle m’a expliqué après qu’elle voulait retrouver sa mère. Jon m’avait dit, il m’avait prévenue qu’elle avait changé, qu’elle ne pensait plus qu’à ça et qu’il avait préféré casser. Mais j’ai accepté quand même. J’avais besoin d’un nouvel horizon, d’autre chose, de tout plaquer pour recommencer. Au moins faire un énième break, des vacances, respirer un peu.

Enfin bref, c’est comme ça que je me retrouve ici, assise à cette table, dans cette chambre d’hôtel, un stylo à la main, une lettre en cours d’écriture devant moi. Je la relis, je me suis un peu égarée là… Je reprends donc :


Je vais essayer de te tenir au courant de l’avancement des choses. Comme je l’ai dit, je ne sais pas quand je rentrerais, dans un mois peut-être ? Ouais sûrement. Ah moins que je me plaise trop ici ah ah ! Non plus sérieusement, je suis un peu perdue en ce moment. J’espère que faire une pause m’aidera un peu... Je vais essayer de t’appeler au plus vite pour tout t’expliquer en détails. Voilà voilà, je suis désolée de ne pas t’avoir prévenu avant, tout s’est fait très vite en fait…

Je relis une dernière fois la lettre. J’espère qu’il comprendra…