Les vacances d’été ont commencées depuis un mois et j’en profite au maximum, surtout que je n’ai plus le poids des examens sur les épaules. Sans surprise, j’ai eu mon bac avec mention et je peux enfin quitter le lycée pour rejoindre l’université. Bien évidemment, je ne vais pas quitter les Bahamas pour un établissement prestigieux qui se trouve à des milliers de kilomètres. Nassau offre tout ce dont j’ai besoin, et en bonus des beaux jours ensoleillés et des paysages à couper le souffle. J’ouvre les yeux et observe ma chambre, jusqu’à ce que mon regard se pose sur la porte. Ce qui vient d’attirer mon attention n’est rien d’autre que le jappement aiguë de mon petit chiot qui vient de passer sa tête par l’entrebâillement pour me réveiller. Je soupir, légèrement agacée d’avoir été réveillée de si bon matin, mais je ne peux m’empêcher de sourire et de gratter le sol pour le faire venir jusqu’à mon lit. Je grattouille sa petite tête pendant quelques minutes, laissant sa langue râpeuse venir lécher ma main. Je me lève et m’étire, puis descends à la cuisine pour me préparer mon petit déjeuner. « Il faudrait peut-être que je te trouve un nom. » dis-je au labrador alors qu’il me percute les jambes. En trois jours, il s’est très bien adapté à sa nouvelle maison. Il faut dire que la villa lui offre un vaste terrain de jeu. « Qu’est-ce que tu penses de … Jappass ? » proposé-je. Il m’observe quelques secondes avant d’essayer de me mâchouiller les orteils. « Bon bon … Alors … Japsy ? Jumper ? Jazzy ? … » listé-je jusqu’à ce qu’il aboit. « Alors va pour Jazzy ! » finis-je par m’écrier en signe de victoire, tout en rangeant mon petit déjeuner.

« Tu restes là, je vais travailler. » lui dis-je en le caressant une dernière fois avant de fermer la porte à clé. Je lui ai laissé une grande gamelle d’eau et de nourriture ainsi qu’un accès à la moitié du jardin, histoire qu’il n’aille pas piquer une tête dans la piscine. Je rejoins la plage en vélo, bien qu’elle ne se trouve qu’à quelques pâtés de maison de chez moi. Depuis le début de mes vacances, je travaille derrière ce petit bar qui sert des cocktails et des smoothies maisons. J’ai commencé avec un gars plus vieux que moi avant de me retrouver avec des jeunes de mon âge. Mais aujourd’hui, lorsque je prends mon service, il n’y a personne d’autre que celle qui le termine. « T’inquiète pas Al, je m’en sortirais toute seule … Pour l’instant. » le rassuré-je pour qu’il puisse rentrer chez lui. Par chance, il n'y a que deux personnes accoudées au comptoir et elles n'ont pas l'air d'avoir besoin de moi pour l'instant. Donc en attendant, je commence à essuyer les verres qui viennent d'être lavés.

Comme je n’ai rien de mieux à faire pour le moment, je range les verres que je viens d’essuyer et je dispose quelques bouteilles de manière à ce que les étiquettes soient visibles. Lorsque je me retourne, les deux clients qui étaient assis au bout du bar sont partis. Je ne m’inquiète pas pour la note, je sais que mon collègue fait payer les consommations aussitôt servies à moins que le client en décide autrement, mais si ça avait été le cas il m’aurait prévenu avant. Enfin bref, puisqu’il n’y a plus aucun client j’en profite pour nettoyer un peu le comptoir. À croire que personne ne sait se servir d’un dessous de verre …

Maintenant que tout est parfaitement propre et en ordre, je n’ai plus qu’à attendre qu’un vacancier s’installe au bar et face sa commande. Et ça ne tarde pas puisqu’un jeune homme s’approche et s’assoit sur l’une des chaises de bar. Je l’accueil avec le sourire en posant mes mains sur le comptoir d’un air nonchalant. « Bonjour belle demoiselle ! » commence-t-il. Automatiquement, mes sourcils se lèvent d’un air de dire “ Pardon ? ” même si je le laisse continuer en me retenant de rire. « Qu’est-ce que vous conseillez à jeune homme assoiffé ? » me questionne-t-il. Son air dragueur me donne envie de lui dire ironiquement avec un sourire faussement charmeur “ Eh bien je conseille à ledit jeune homme de boire ses paroles de dragueur qui étancheront sa soif en quelques gorgées. ” mais je me retiens du mieux que je peux. Je ne lui demande pas de précision et lui offre un sourire, bien qu’il soit légèrement crispé, avant de m’affairer avec quelques bouteilles. Là encore je suis obligée de contrôler mes mains pour ne pas faire un mélange imbuvable spécialement pour lui et sa bouche qui a l’air bien délicate. Après une minute montre en main, je lui sers un verre au contenu rouge délicatement rosé. « Et voilà un Bora Bora. » annoncé-je en m’efforçant de paraitre normale. Je précise tout de même après une courte pause « Ananas, fruit de la passion, grenadine et jus de citron. » avant de m’installer sur un petit tabouret pour observer minutieusement mes ongles, même si ce n’est qu’une excuse pour l’ignorer.  

Je m’efforce d’ignorer la présence de ce mec ont j’ai cerné la personnalité en une phrase. C’est un dragueur parmi tant d’autres qui ne mérite pas la moindre attention. Sûrement un nouveau prétentieux venu passer ses vacances sur l’île pour profiter de toutes les filles qui croiseront son chemin. Pas de chance pour lui, je ne suis pas de celle-là. Je vis aux Bahamas depuis ma naissance, j’en ai croisé des centaines comme lui. Donc je n’ai pas de temps à perdre avec ce baratin qu’il doit servir à la première venue. Malgré toutes ces pensées négatives, je ne peux pas m’empêcher de lui jeter un coup d’œil discret de temps à autre. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de l’observer alors qu’il ne s’était pas gêné pour le faire deux minutes plus tôt avec moi ?

En tout cas mon cocktail semble lui plaire, ce qui me fait plaisir malgré son comportement qui m’avait donné envie de l’empoisonner. Pour autant, lorsqu’il m’en fait le compliment en disant que la prochaine fois il commandera la même chose, je l’ignore en faisant comme si je n’avais rien entendu. « Ça fera deux dollars cinquante. » lui dis-je sans relever la tête penchée sur mes mains. J’espère vraiment qu’il va payer puis s’en aller. Mais il n’en fait rien et me dit « Au fait, c’est quoi votre nom ? Moi c’est Rhys ! » sur un ton qui me pousse à me redresser pour le regarder droit dans les yeux. Je réponds « Summer. » avec une certaine lassitude. Maintenant, je n’ai plus qu’à attendre la suite habituelle “ Ho c’est mignon Summer, ça te va bien ! ” et bla bla bla … C'est donc sans me rencontre que je le défie du regard pour qu'il trouve quelque chose de plus intéressant à dire, bien que je ne puisses pas le virer.  

Travailler ici est habituellement un véritable plaisir. J’adore rencontrer de nouvelles personnes et me rendre utile. Mais lorsque je tombe sur des dragueurs dans son genre tout mon plaisir s’envole et je deviens très rapidement désagréable. Mes paroles deviennent plus sèches, mon regard se fait plus froid, ma mâchoire se crispe et mes poings se serrent. Je veux absolument éviter de dire une chose que je pourrais regretter par la suite, même si dans ce cas-là je doute pouvoir déplorer une quelconque attaque verbale. L’atmosphère est de plus en plus tendue, et je suis presque satisfaite du malaise lisible dans les yeux du dit Rhys. Je n’ai qu’une envie : qu’il parte sans ajouter un mot. Seulement il ne semble pas décidé à exhausser mon souhait … Ce qui est bien dommage, mais je ne perds pas espoir pour autant.

« Summer… C’est un joli nom. » commente-t-il en fouillant ses poches, sûrement à la recherche des quelques pièces sensées payer sa consommation. Il fait une courte pause avant de reprendre « Et puis il correspond à cet endroit tu ne trouves pas ? ». Ses yeux ne quittent pas les miens. Tant mieux, car il est obligé de remarquer que je le foudroie du regard. S’il ne comprend pas que son attitude devient lourde, je ne sais pas ce qu’il faut faire. Je réponds sèchement « Si. » afin de couper court à cette discussion. Faites qu’il paie et qu’il disparaisse de ma vue …

Mon regard en dit long sur ma façon de penser visiblement, car le beau brun -il faut dire ce qui est- finit par détourner les yeux afin de se concentrer sur ses poches. Je ne l’imite pas pour autant, préférant continuer à le mettre mal à l’aise afin qu’il s’en aille au plus vite. La victoire me semble toute proche lorsqu’il soupire de manière exagérée. Ses poings frappent le comptoir de manière régulière, ce qui m’agace très rapidement. Sans relever la tête il murmure « T’en as marre de ma tronche, hein. » plus pour lui-même que pour moi à mon avis. Pour cette raison, je ne réponds pas et continue de le fixer. À force, je vais connaitre les traits de son visage par cœur. Ses cheveux sont bruns, un peu plus long sur le dessus que sur les côtés. Ses yeux ont beau être bleus, son regard n’en est pas moins sombre. Ses lèvres sont fines et leur couleur rose ressort sur sa peau blanche. « T’en as marre des dragueurs à deux ronds dans mon style, c’est ça ? » dit-il plus fort que la fois précédente, ce qui me pousse à sortir de mes pensées. Cette fois-ci, c’est bien à moi qu’il s’adresse. Je pince les lèvres et lui réponds sèchement « C’est exactement ça, t’as tout deviné Einstein. » sans perdre le ton froid que j’avais emprunté la fois d’avant. Étonnement, ça n’a pas le même effet sur lui qu’au tout début. Il se met à rire et joue avec la monnaie qui se trouve dans ses mains. « Et bien c’est con, parce que je suis bien ici ! » me provoque-t-il. Je serre les dents, consciente que je ne peux ni le virer ni le frapper. Ce qui est fort dommage car faire un mixte des deux est très tentant.

Tandis qu’il regarde les alentours je me lève de mon tabouret et m’éloigne un peu pour appeler collègue de travail qui n’est toujours pas là. Lui au moins aurait su comment faire partir cet énergumène. Seulement, il ne répond pas au téléphone. Je suis donc condamnée à supporter seule le jeune homme qui n’est pas décidé à me lâcher les baskets. Je retourne donc m’assoir en soupirant, complètement démoralisée. « Bon, dis-moi ce que je dois faire pour que tu t’en ailles … » essayé-je de négocier.

Je suis coincée sur mon lieu de travail avec un sombre crétin. Il me dit qu’il est très bien ici, donc qu’il ne compte pas partir de sitôt. Mais ce que je comprends surtout c’est que je ne suis pas débarrassée de ce dragueur insupportable. Alors la première chose qui me traverse l’esprit c’est un compromis, que je lui propose de choisir aussitôt. Je le regrette aussitôt, quelque peu inquiète par le fait qu’il puisse en profiter. Il s’approche de moi en se penchant par-dessus le comptoir, et sur le coup j’ai un bref moment de recul. « Mais rien. » me dit-il avec un grand sourire. Je me montre soulagée, mais j’attends la suite car je vois bien qu’il n’en a pas fini avec moi. « Je resterais ici, parce que je suis bien, ici. Donc t’as rien à faire pour me faire partir. » m’explique-t-il. Mon visage se décompose. Si je comprends bien, je ne suis pas sortie de cette galère.

Rhys se recule pour prendre sa position initiale. « Et même si je t’emmerde tu pourrais sourire un peu, je suis sûr que tu es beaucoup plus belle quand tu souris ! » ajoute-t-il d’un ton espiègle. Je lui offre le sourire le plus forcé de toute la terre mais ne pense qu’à une chose : lui coller mon poing en pleine figure. Si je n’étais pas en service, ce serait déjà fait. Mais puisque je suis derrière le bar, je n’ai d’autre choix que de le supporter et d’obéir. Le règlement, c’est le règlement. Le client est roi, quoi qu’il arrive.

Par chance, un client arrive et je peux me lever pour aller prendre sa commande et ignorer ce Dom Juan assis deux tabourets plus loin. Je lui fais son cocktail avec un sourire sincère, contrairement à celui que je venais d’offrir au jeune homme. Il faut dire que celui qui vient d’arriver est bien plus intéressant et que je prends plaisir à discuter avec lui. Mais à peine a-t-il fini sa consommation qu’il s’en va, me laissant de nouveau seule avec l’autre boulet. « Toujours là ? » lui demandé-je d'un ton plus enjoué.