Je termine ma demi-journée de travail au bar de la plage vers onze heure trente, ce qui veut dire que j’ai mon après-midi de libre. Enfin, plus ou moins puisque j’ai déjà quelque chose de prévu. Je rentrer chez moi en quatrième vitesse pour manger sur le pouce. Une fois ma salade terminée, je me précipite dans la salle de bain pour me préparer. J’attache mes cheveux dans un chignon haut pour ne pas être gênée et j’enfile un t-shirt de sport blanc avec un short assortit. Bah oui, c’est pas parce que je pars faire un peu de sport que je vais m’habiller comme une clocharde.

En fin de compte, je suis légèrement en avance. Je mets à peine dix-minutes pour rejoindre l’université, ce qui fait que j’ai une demi-heure d’avance. Tant pis. J’attache mon vélo sur le parking dédié aux deux roues et entre dans le stade. Il est grand et familier. J’avance dans les gradins et m’assois sur la cinquième rangée de banc, histoire d’avoir une belle vue sur le terrain. Quelques étudiants s’entrainent. Sûrement n’ont-ils rien de mieux à faire, ce qui ne m’empêche pas d’observer leur jeu avec intérêt. J’en oublie complétement Alex. De toute façons, puisque je suis en avance il est certainement occupé à autre chose.

Bien qu’officiellement, j’allais entrer à l’université de Nassau qu’au mois de septembre, et donc l’équipe de baseball du campus par la même occasion, j’avais été invité à participer aux entrainements qui avaient lieu de temps à autre afin de s’assurer que les joueurs n’étaient pas rouillés pendant les vacances d’été, puisque visiblement, tout comme en sol américain, le sport était pris très au sérieux et il était hors de question d’avoir des joueurs ayant perdu leurs habitudes seulement après huit semaines sans avoir joué. Honnêtement, je ne m’en plaignais pas, puisque j’avais particulièrement hâte de faire partie de cette équipe, d’être finalement fier de quelque chose dans ma vie, et surtout, quelque chose que je faisais pour moi et non pour les autres.

En revanche, je ne perdais pas de vue l’idée que ce n’était pas un entrainement nécessairement sérieux, et ayant déjà vu quelques fois d’autres joueurs inviter des gens à assister aux entrainements, leur invitant même à prendre part par moments, j’avais choisi d’inviter une de mes bonnes amies, Summer, à me retrouver au parc, puisque ne l’ayant pas vue depuis un moment, je jugeais que ce serait une bonne occasion de se retrouver un peu. Pour cette raison d’ailleurs, je choisis d’arriver un peu d’avance à l’entrainement, mais visiblement pas assez d’avance pour mon amie, que je repérai dans les gradins dans les quelques instants suivant mon arrivée au parc. Étant de bonne humeur à ce moment précis, je choisis alors de lui jouer un tour, donc je me plaçai derrière elle, positionnant mes mains devant ses yeux avant de lui lâcher un petit « Bouh ! » à l’oreille, guettant ensuite sa réaction avec un petit sourire amusé aux lèvres.

J’observe tous les étudiants qui se trouvent sur le terrain, en contrebas du stade. Certains s’entrainent sans grand sérieux tandis que d’autres n’en sont encore qu’à leur échauffement. Puisque j’ai du temps et que je me retrouve ici dans un but précis, j’énumère en silence les règles de base de ce jeu que j’apprécie tant, ainsi que les fautes et leurs conséquences. Je ne pensais pas que cela ferait remonter à la surface de ma mémoire des souvenirs tranchants comme des lames de rasoir. Petite, mon père essayait de m’apprendre à jouer au baseball. Il voulait me transmettre l’une de ses passions, et il avait réussi. Souvent, il m’emmenait dans ce stade pour que je puisse tirer des leçons de chaque match. Mais tout ça appartient au passé puis qu’aujourd’hui il n’est plus. Ma gorge se serre et je me concentre sur le batteur pour trouver ses failles afin de contenir mes larmes.

Tout cela m’absorbe tellement que je ne remarque pas qu’une présence vient de se glisser derrière moi. Des mains viennent obstruer ma vision tandis que des lèvres viennent chatouiller mon oreille en lâchant un « Bouh ! » amusé. Je sursaute puis éclate de rire en comprenant qu’il s’agit d’Alex, lui aussi un peu en avance à notre rendez-vous. J’attrape ses mains et penche la tête en arrière pour pouvoir voir son visage. « C’est trop dur d’être un ami normal qui n’essaye pas de me tuer d’une crise cardiaque ? » lui demandé-je sur le ton de la plaisanterie.

Alors que normalement, j’aurais du rire comme un véritable gamin vu l’air apeuré qui se forma sur le visage de mon amie, me faisant comprendre que ma petite blague avait fonctionné à merveille, je me surpris à commencer à rire, puis m’arrêter de façon plutôt prématurée, m’assurant de ne pas faire une coupure raide qui aurait tôt fait d’attiser les soupçons comme quoi quelque chose clochait chez moi. Pourquoi j’avais une telle réaction, que je n’étais pas capable de rire tout banalement, de faire comme environ tout le monde l’aurait fait dans la situation présente ? Tout simplement parce que mon cas n’était plus similaire à la normale des gens, et ça, c’était si frais, si récent que je ne pouvais m’empêcher d’avoir encore un blocage, d’être sensible à certaines choses, par exemple, les mots « crise cardiaque », exactement ceux que Summer avaient prononcés. Je savais bien qu’elle ne voulait que plaisanter, mais je ne pus, malgré tout, m’empêcher de me demander si ma maladie n’était pas à ce point, que si quelqu’un me faisait le coup, je pourrais en ressentir les effets puissance dix. Je n’en savais rien, pour tout dire, et ça faisait peur. En revanche, je ne voulais pas penser à cela, je ne voulais pas faire paniquer mon amie dans l’immédiat. Je tentai alors de reprendre une certaine composition, et je lui dis, dans un haussement d’épaules : « Tu avais juste à ne pas avoir la tête dans les nuages ! C’est pas ma faute ! » avant d’esquisser un sourire renouvelé. Puis, sachant que j’étais d’avance, je me permis de m’assoir à côté de mon amie et lui dire : « Alors, comment tu vas ? »