Après m’être soigneusement préparé pour aller à l’aéroport, là où je devais me rendre pour deux vols importants qui feraient en sorte que je m’absenterais pour environ quarante-huit heures, je sortis de l’appartement, valise à la main, housse avec mon uniforme de pilote sur l’épaule, puisque je préférais le mettre une fois sur place histoire de ne pas le froisser. Je me dirigeai vers ma voiture, déverrouillai les portières à distance, et déposai ma housse à l’arrière, et alors que j’allais mettre ma valise dans le coffre arrière, je vis une silhouette familière qui ne me mit certainement pas de bonne humeur. De nature provocatrice, je fronçai les sourcils, puis je refermai la porte de la voiture, m’approchant du jeune homme pour faire exprès de le bousculer avec mon épaule, lui disant ensuite : « Je peux t’aider ? » d’un ton sec pour faire savoir que ça ne me plaisait pas de le voir ici, mais pas du tout.

Si moi j’avais reconnu le jeune homme, bien que j’aurais de loin préféré ne pas le voir rôder autour de l’appartement, lui, ne semblait pas savoir qui j’étais. Cela aurait pu être limite amusant, parce que j’aurais très bien pu le faire tourner en bourrique bien longtemps, et cela aurait été mon genre de le faire, mais puisqu’il était question de l’ex petit-ami de ma meilleure amie, et qu’il lui avait fait du mal, il n’y avait pas moyen que je prenne plaisir à le voir tourner en rond. Le plaisir n’avait pas sa place dans cette discussion et ce, d’aucune façon. Pire encore, alors que j’aurais bien aimé qu’il me dise qu’il n’était là que pour se promener, au hasard, il dit exactement la chose qui ne voulait pas entendre, soit qu’il voulait voir Melba. Enfin, il ne l’avait pas dit directement, mais je l’avais déduit, parce qu’autrement, il ne serait pas en train de la chercher ainsi. J’aurais très bien pu lui dire tout de suite qu’il n’était pas question qu’il la voie, et que je le fasse déguerpir du quartier si bien qu’il ne reviendrait jamais, mais si jamais Melba venait à apprendre cela, elle n’aimerait certainement pas. Pour elle, je choisis de me montrer un peu gentil, un peu conciliant. Enfin, gentil était là un grand mot, mais plutôt que de chercher à faire peur au jeune homme, je me contentai de croiser mes bras sur ma poitrine en fronçant les sourcils, signe typique, voire cliché de défi, et je dis : « Et qu’est-ce que tu lui veux, à Melba ? »

Je demeurai impassible lorsque le jeune homme me dit qu’il devait lui expliquer certaines choses. Franchement, je n’arrivais pas à croire qu’il s’ouvre ainsi alors que techniquement, il ne me connaissait pas. S’il était du genre à être aussi ouvert, alors ce n’était pas étonnant que Melba croie qu’il pouvait s’ouvrir à n’importe quelle autre fille alors qu’il prenait apparemment du bon temps autre part, laissant ma meilleure amie malheureuse et totalement confuse alors que je détestais la voir ainsi. Puis, finalement, il eut soudainement une pensée intelligente et comprit que Melba et moi étions liés. Ce n’était pas un secret quand même, comme si j’allais me pointer là et lui faire un interrogatoire sans connaître la fameuse personne à qui il voulait parler. Enfin, peut-être il y avait des gens qui pourraient prendre plaisir à faire une chose pareille, mais pas moi, parce qu’autrement, je pourrais être pris pour un psychopathe, et je tenais à ma réputation, quand même. Je ne dis alors rien pour un instant, mais lorsque je le vis faire un pas en direction de l’appartement, tel un chien de garde, je me décalai pour me placer dans son chemin, et je lui dis, un peu plus menaçant : « Oui, elle habite avec moi, et crois-moi, elle n'a pas envie de te voir en ce moment. » Peut-être que oui, Melba voulait le voir, mais moi, j’avais pas envie qu’ils se voient, parce que je ne voulais pas voir ma meilleure amie souffrir encore une fois, d’autant plus que je ne lui faisais pas confiance, mais pas du tout.

Je ne flanchai pas lorsque le damoiseau me demanda de le laisser passer, ne faisant que lui bloquer la route de nouveau, toujours aussi froid, toujours aussi sec. Il était hors de question qu’il passe, ou s’il le faisait, c’était parce qu’il m’avait passé sur le corps, et têtu comme j’étais, je n’allais certainement pas la lui laisser aussi facilement, d’autant plus qu’il venait de perdre son sang-froid, contrairement à moi, même si au fond, je mourrais d’envie de lui coller mon poing sur la gueule ici et maintenant, pour qu’il sache comment il avait fait mal à ma meilleure amie. Toutefois, je ne le fis pas, parce que soudainement, une nouvelle envie me prit, celle de lui mentir et dire que j’étais son petit ami, parce qu’apparemment, il ne savait pas qui j’étais. Cependant, je me ravisai bien rapidement, parce que je savais que cela pourrait causer des problèmes à Melba, et je n’avais pas envie de faire quoi que ce soit qui lui ferait du tort, déjà qu’elle en bavait assez comme ça à cause de cet énergumène qui lui avait autrefois servi de petit copain. Et puis, j’avais eu une nouvelle idée, encore plus horrible, mais assez pour lui faire comprendre ce qui se passait, pour le faire sentir mal, pour qu’il se sente tout petit dans son pantalon. Je lui dis, en faisant un pas dans sa direction, afin qu’il comprenne bien chacun de mes mots : « Qui je suis ? Moi, je suis celui qui a pris soin d’elle, qui l’a consolée parce qu’elle était malheureuse. Et tout ça, à cause de toi, parce que t’as été trop con. Tu lui as fait du mal. Donc je crois être bien placé pour t’interdire de lui parler. » Je me doutais bien que j’avais peut-être rajouté une touche de mélodrame dans mes propos, mais je m’en moquais. Si ça pouvait lui faire comprendre les dommages qu’il avait causé autour de lui, alors c’était tant mieux. Sinon, bah il était encore plus idiot que je ne l’aurais cru, tout simplement.

Pendant un instant, je ne sais pas trop vraiment quoi penser de la réaction du mec, puisqu’il ne me répond pas vraiment d’une façon que je pourrais appeler sèche, voire directe. Limite, je pourrais dire qu’il est perturbé, et idéalement, que je lui aurais fait comprendre qu’il ne méritait pas de revoir Melba et qu’ultimement, il finirait par tourner les talons et finalement quitter cet endroit pour ne jamais revenir. J’en serais satisfait, pour tout dire, peut-être même un peu trop, mais une chose était certaine, c’était que j’aurais fait une bonne action en éloignant ce gros crétin de ma meilleure amie, éloignant cette dernière d’une nouvelle raison d’être malheureuse. Cependant, ce ne fut pas cela; alors que, sûr de mon coup, j’allais lui dire : « Maintenant, tu vas être gentil et… », je fus interrompu non pas par des paroles, non pas par un facteur extérieur qui serait venu briser la conversation, mais plutôt par un coup en plein dans la mâchoire, un coup qui fut douloureux, dans un premier temps, mais qui provoqua chez moi un accès de colère épouvantable. J’entendis à peine le jeune homme me dire, en gros, qu’il était conscient de ses actes, et qu’il parlait comme s’il n’avait pas eu le choix. Furieux, je n’attendis pas plus longtemps pour oublier l’élancement que je ressentais au niveau de la bouche, et rempli d’adrénaline, j’agrippai cet enfoiré par les épaules, et je le plaquai durement sur le mur de l’immeuble le plus près. Mon visage tout près du sien, je ne me retins pas, je n’eus aucun filtre alors que je lui disais, le regard noir lançant des éclairs : « Par pur plaisir ? Tu crois que c’est toi la victime dans tout ça !? Pendant que toi, tu te la coulais douce, à te faire maquiller comme une chochotte chaque jour, à soi-disant bosser, elle, elle était triste, elle croyait que tu l’avais trompée, que tu ne voulais plus d’elle. Elle t’aimait, et toi, t’as été tellement… Con, égoïste, imbécile, que tu t’es jouée d’elle. Tu lui as brisé le cœur, et elle est probablement la dernière personne qui mérite un traitement pareil ! » N’ayant pas remarqué que j’étais allé jusqu’à faire en sorte que ses pieds lèvent de terre, je finis par le reposer, manquant délibérément de délicatesse dans mon geste. Remarquant seulement à ce moment que j’avais commencé à saigner de la bouche, je m’essuyai du bout des doigts, vite fait, et je dis : « T’as vraiment beaucoup de chance. C’est à toi qu’on devrait en coller une. »